Achikochi

Conférence – Situation et revendications des personnes LGBT au Japon

2016-06-20 | Lecture : 14 min

L’association Français du Monde organisait ce dimanche une conférence sur la situation des personnes LGBT au Japon.

Les intervenants étaient intéressants par eux-mêmes, surtout Mme Aya KAMIKAWA, première personne trans à remporter une élection au Japon (et à être réélue 3 fois par la suite).

Jusqu’à présent, ma seule entrée en matière sur la communauté LGBT au Japon, à Tokyo plutôt, était la série de reportages Gaycation par Vice, sortie en février dernier.

La conférence était partagée en 2 grandes parties: la première se concentrant sur le contexte et l’histoire récente des communautés LGBT au Japon depuis les 30 dernières années et la seconde s’articulait autour des témoignages de deux couples, un couple lesbien japonais et un couple gay français.

Shibun NAGAYASU, culturellement existants mais pas socialement intégrés ?

Photo de Shibun NAGAYASU pendant sa presentation
Shibun NAGAYASU

L’histoire japonaise fait souvent référence a l’homosexualité, sans qu’elle soit jamais cachée ou réprimée mais dans le même temps, sans qu’elle ne soit jamais soutenue par des lois. Le couple hétérosexuel est toujours celui qui est encadré et celui qui défini comme standard.

Le premier boom LGBT

Dans les années 1990s, un premier boom LGBT (Gay Boom) a lieu. Les gays ont alors une image chic, élégante et apparaissent alors régulièrement dans les magazines féminins. C’est une des premières fois que l’homosexualité apparaît réellement dans les médias généralistes.

Par cette diffusion dans les médias grands publics, c’est aussi l’occasion pour un certain nombre de personnes LGBT alors isolées, de se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls et qu’il y a un début de communauté qui se met en place, surtout suite au problème du SIDA. C’est aussi l’heure des premières demandes de libéralisation et d’amélioration de leur situation. La communauté homosexuelle en elle-même connait un boom : premières parades, développement des clubs, booms des drag-queens et drag-kings et explosion du nombre de magazines (jusqu’à 7) etc.

Les années 1990 marquent aussi les premiers procès liés à l’homosexualité. Notamment l’affaire Fuchu Seinen no Ie du nom d’un centre de vacances a Tokyo.

Voulant organiser une soirée, un groupe d’homosexuels loue une des maisons du centre de vacances et essuie des insultes de la part des autres groupes présent au même moment. Se plaignant auprès du gestionnaire (la ville de Tokyo), ils essuient encore une fois des insultes.

Ils décident alors de porter plaintes et d’aller jusqu’au bout.

En 1997, la Cour Suprême leur donne raison, retournant les décisions initiales et d’appel. Pour la Cour Suprême, en tant que représentant de l’autorité publique, la ville de Tokyo se devait de protéger la dignité de ses clients.

Cette décision a fait date dans le milieu LGBT et est toujours étudiée en fac de droit aujourd’hui.

Années 2000, passage a vide

Si cette décision est une avancée pour la communauté LGBT, elle n’empêche pas que la société, elle, n’avance pas forcément au même rythme. En 2000, un homosexuel est massacré par un groupe de jeunes l’ayant choisi parce que « les gays ne portent pas plainte, ce sont des cibles faciles. ». Par ailleurs, à partir du milieu des années 2000, les conservateurs se mettent à critiquer tout ce qui concerne le Gender Free et en refusent toute mention dans le cadre de l’école (qui n’est par ailleurs pas reconnue pour la qualité de son éducation sexuelle en général).

Cependant, dans le même temps, des expatriés de long terme ou des diplomates rentrent au Japon avec leur partenaire ou conjoint et forcent l’administration à se pencher sur le sujet.

Second boom LGBT

On connaît aujourd’hui un second boom LBGT au Japon. Les émissions utilisent de plus en plus des talentos gays / drag queen appelé One-e. Ou les sujets sont clairement abordés par NHK-E, la chaîne éducation de la NHK. Sans être la chaîne principale, c’est une évolution positive.

D’un point de vue administratif, en 2016, une cinquantaine de villes reconnaissent les unions LGBT (edit : 75 en mars 2021) et délivrent des certificats qui ne donnent concrètement aucun droit mais reconnaissent que la situation existe.

Aya KAMIKAWA, évolution de la situation des personnes trans

Photo d'Aya KAMIKAWA pendant sa presentation
Aya KAMIKAWA

Au départ, le droit d’exister

Le premier tournant dans la situation des personnes trans a eu lieu en 1969. Cette année-là, un médecin est condamné pour avoir pratiqué une chirurgie de réattribution sexuelle. D’une situation grise auparavant, ces opérations passent clairement dans la clandestinité. A partir de la, la communauté trans fera tout pour revenir a une meilleure situation.

En 1997, le comité d’éthique du département de Saitama déclare légitimes les demandes de réattribution sexuelles, déclaration suivie en 1997 par la publication des guides d’évaluation des demandes. En 1998, la première opération officielle depuis 1969 est faite dans l’hôpital de Saitama.

Cependant, 5 jours après cette opération, le ministre de la justice déclare refuser tout changement de législation concernant la mise a jour de l’état civil. La situation n’est pas nouvelle, entre 1979 et 2000, il y a eu 10 procès pour demander le changement de l’état civil. Dans tous les cas sauf un, les demandes ont été refusées, les juges considérant que c’étaient le rôle des législateurs de faire évoluer la situation, pas le leur.

Années 2000 : Une première mondiale et la bataille pour l’état civil

Les années 2000 marquent la reprise des actions pour faire évoluer la situation et les premières victoires. En février 2001, 6 personnes trans engagent au même temps une action en justice pour changer la législation. Cette action concertée avait été minutieusement préparée et tous les plaignants remplissaient toutes les conditions pour faire aboutir favorablement leur demande. Cependant, que ce soit le jugement initial, l’appel ou la décision de la Cour Suprême, toutes les instances judiciaires les ont déboutés.

Dans cet environnement, Aya KAMIKAWA décide en 2003 de se porter candidate a l’élection municipale dans le district de Setagaya de Tokyo. Bien qu’active auparavant dans la communauté LGBT, la politique ne l’attirait pas particulièrement mais elle a fait ce choix afin de porter la cause là où des actions pourraient réellement avoir un impact.

Cette candidature elle-même n’allait pas de soit. Démarrée deux mois à peine avant l’élection, tous les documents demandaient mention du sexe du candidat. Elle refuse, publiquement, de porter la mention « homme » sur les documents et devant l’intérêt que commence a avoir sa candidature pour le public, le ministre de la justice accepte finalement de valider la candidature. D’une curiosité initiale, les médias commencent alors a vraiment s’intéresser à la candidate et à son discours. Elle arrive finalement 7ème parmi les 72 candidats et obtient donc un siège au conseil municipal de Setagaya, devenant ainsi la première personne ouvertement trans à obtenir une charge publique dans une ville de premier plan.

Cette première mondiale incite le gouvernement à se repencher sur la question des droits des personnes trans. Deux semaines après cette élection, la Diète lance un groupe de travail sur la mise a jour des mentions sur l’état-civil et, en juillet 2003, la loi autorisant le changement de mention a l’état civil est votée a l’unanimité. Cette avancée se fait cependant avec quatre conditions pour le requérant :

  • avoir plus de 20 ans (majorité)
  • avoir subi l’opération de réattribution sexuelle
  • ne pas être marié
  • ne pas avoir d’enfant

Sur ce dernier point, les associations trans se sont mobilisées et cette condition a été supprimée en 2008.

Récents combats

Ces dernières années, la situation a bien évolué. Une cinquantaine de municipalités ont retiré mention du sexe sur les cartes d’électeurs. D’autres autorisent une mention différente de celle figurant sur l’état civil. En 2007, le ministère du travail a envoyé une directive a toutes les agences Hello Work (le Pôle Emploi japonais) afin d’utiliser l’identité sexuelle plutôt que le sexe génétique.

Concernant les enfants, deux autres décisions reconnaissent les droits des hommes (2013) puis des mères (2014) a être pères et mères (respectivement) après transition, et ce, sans aucune mention de la transition ni restriction.

Extension du domaine de la lutte?

Si ces avancées sont notables, Aya KAMIKAWA note qu’elles concernent principalement les personnes trans, a l’exclusion des LGB, principalement parce que les organisations trans sont plus actives, organisées et prêtes à faire pression sur les législateurs.

En tant qu’élue, elle cherche à aider tous ses administré.e.s mais ne peut avoir qu’une aide limitée pour les LGB et leur demandent de se mettre plus en avant.

Témoignages de couples LGBT

Deux couples sont venus partager leur expérience au Japon. Lenna a présenté ce qu’elle vit en tant que lesbienne japonaise, puis Raul et Mustapha sur les difficultés pour un couple gay voulant vivre au Japon par regroupement familial.

Lenna: choc culturel inversé

Lenna est née au Japon et a rencontré sa partenaire, Japonaise également, alors qu’elles vivaient toutes deux en Australie pendant 9 ans.

Voulant vivre ensemble et au Japon, le retour a été difficile. Ni l’une ni l’autre ne s’attendaient à rencontrer autant de difficultés.

Malgré les avancées présentées plus haut, la société met en avant sur l’uniformité, le respect des standards, vivre sans faire de vagues. Autant s’embrasser en public passait inaperçu a Melbourne, autant elle reconnaît que c’est « compliqué », dans son sens le plus japonais, a Tokyo.

Et sur le couple, les gens sont toujours surpris quand elle répond franchement qu’elle a une copine. Si initialement, Lenna pensait que les gens ne comprenaient pas la phrase ou l’expression, avec le temps, elle a réalisé que la réaction tient plus de l’embarras, « Pourquoi dire ça en public alors qu’elle devrait en avoir honte? ».

Si le boom LGBT actuel est bien réel, ce n’est pas vraiment un sujet de société, plus un gimmick. Le sujet n’est pas abordé dans la société, encore moins a l’école.

Elle reste confrontée a des visages consternés, des ricanements, des blagues. « Pourquoi avoir choisi d’être lesbienne? ». Au « mieux », l’image des lesbiennes est associée au fétichisme ou a des catégories de mangas ou de pornos.

Dans la vie de tous les jours, elle navigue entre les deux extrêmes. Elle est très bien intégrée dans son entreprise, est transparente sur son couple, est soutenue, a participé a des événements d’entreprise avec sa partenaire et a amené ses collègues a 2-chome… D’un autre côté, en dehors de l’entreprise, ce n’est pas aussi simple. Trouver un appartement en tant que couple lesbien a été extrêmement difficile. La société fait tout ce qu’elle peut pour maintenir le placard fermé.

Une enquête en 2013 montrait que si 80% des gays et lesbiennes interrogées avaient fait leur coming out auprès d’amis hétéros, la proportion tombe a 50% a destination des familles, pourtant supposées être le cercle le plus intime dans la société japonaise. La compagne de Lenna par exemple n’a absolument pas le soutien de sa famille, n’a pas fait son coming out et est officiellement en collocation, avec la même femme depuis 8 ans maintenant. Rien n’est officiellement annoncé, même si certains membres de sa famille se doutent de la situation. De son côté, Lenna a fait son coming out mais n’a pas le soutien de sa famille non plus et ses parents lui demandent fortement de ne pas faire de publicité et de ne pas, le jour ou ce sera possible, se marier.

Raul et Mustapha : les joies de la paperasse

(La batterie de mon téléphone étant morte pendant cette partie de la présentation, certains détails peuvent être incomplets ou tout simplement faux, si vous avez plus d’infos, n’hésitez pas à m’en faire part et je mettrai a jour en fonction.)

En 2012, on propose à Mustapha de venir faire de la recherche au Japon. Déjà en couple et PACSé avec Raul en France, ils décident que Mustapha partira un an seul au Japon pour voir s’il veulent s’installer ici.

Au bout d’un an, la décision est prise, le Japon leur plaît et ils veulent vivre ensemble. Et c’est la que la paperasse commence.

Chacun de son côté prend contact avec les administrations, l’ambassade du Japon en France et le bureau de l’Immigration a Shinagawa dans la baie de Tokyo. Les résultats sont contradictoires. L’ambassade annonce qu’il n’y a pas de problème, l’immigration que c’est impossible de faire un regroupement familial.

Dans le même temps, en France, le mariage pour tous est voté en France. Initialement actifs dans les manifestations, pas pour eux-même mais pour ouvrir les droits a tous, Raul et Mustapha se rendent compte que le mariage est la seule solution pour eux de vivre ensemble a l’étranger et donc, fin 2014, ils se marient en France.

Partant de là, l’immigration leur confirme qu’ils peuvent faire la demande de regroupement familial mais qu’elle ne peut pas s’engager sur le résultat. Raul vient donc initialement en tant que touriste et attend le résultat.

À la fin, l’immigration leur donne le feu vert. Ils sont officiellement au Japon, en tant que foyer unique. Ils font la déclaration de résidence a la mairie de Suginami ou ils vivent et sur le certificat de résidence (juuminhyou), Mustapha est marqué comme chef de foyer, Raul comme mari. Ce papier en main, cela leur permet de faire des démarches, notamment avec la banque (compte commun etc…). Par ailleurs, Mustapha étant sous statut spécifique (highly skilled professional, employé hautement qualifié), Raul est également autorisé à travailler 28h par semaine. Quelques mois après cependant, l’immigration les contacte pour changer la mention. Reconnaître le statut Chef de foyer + Mari serait reconnaître le mariage homosexuel au Japon et le ministère ne peut pas l’autoriser. Le changement est fait en faisant passer Raul sous le statut de engosha (援護者, personne avec une relation particulière), sans que ce soit le statut de dépendant ne soit indiqué sur la carte de résidence, seulement une mention jointe au passeport (qu’il n’est pas nécessaire de présenter une fois que vous avez la carte de résident). Une façon de dire les choses sans les montrer.

Raul aujourd’hui est freelance et vit tranquillement avec Mustapha a Tokyo.

A noter : tout ce qu’ils ont réussi à faire pour faire reconnaître leur couple au Japon n’a été possible que parce que le mariage était reconnu dans le pays des deux conjoints. Ils ont eu l’occasion de rencontrer d’autres couples pour qui ça a été possible au Japon (couple Australien-Mexicain) et d’autres pour qui la demande a été refusée (Americain-Coréen, la Corée du Sud ne reconnaissant pas le mariage homosexuel). A ce jour, les demandes sont systématiquement refusées pour les couples dont l’un des partenaires est Japonais.

Le mot de la fin

Je n’ai qu’un regard extérieur a la situation mais on sentait que certains des intervenants avaient une présentation très technique sans doute pour se détacher de situations personnellement vécues et assez difficiles.

Les organisateurs étaient agréablement surpris de voir que plus de 90 personnes s’étaient enregistrées pour la conférence et que plus encore sont venues directement.

Je tiens à préciser que les démarches décrites par Raul et Mustapha ne sont pas un manuel pour obtenir un visa pour le Japon en tant que couple homosexuel. Si cela vous intéresse, prenez conseil avec l’ambassade ou l’immigration qui vous donnera toutes les dernières recommandations et procédures.

Finalement, un article extrêmement intéressant sur Subaru et comment cette entreprise a changé les règles du marketing en embrassant l’existence de sa communauté et de ses clientes lesbiennes.