Conférence – « Les Japonais ne comprennent pas le Marketing »
Au hasard d’une discussion, on me parle, la veille pour le lendemain d’une présentation par Robert « Bob-san » Peterson sur le marketing au Japon. Le titre est provocateur, ça m’interpelle.
Le Robert Peterson en question est un Américain arrivé au Japon en 1982 et qui a travaillé pour DFS, ensuite Saatchi & Saatchi, pour le compte de Toyota. La mission initiale est simple : aider Toyota à pénétrer le marché américain puis le reste du monde.
Partant de la, et vu les succès engrangés, il est chargé d’aider Toyota et d’autres grosses entreprises japonaises à intégrer le marketing comme fonction clef dans l’entreprise. En gros, passer d’une approche Produits/Spécifications et Vente à une approche Client en amont.
Bref, le gars connaît son sujet.
Selon lui, les sociétés au Japon se concentrent sur l’ingénierie (la meilleure qualité et les meilleures specs) et sur la vente (Sales). Ca colle avec ce que j’ai pu voir jusqu’ici et l’aspect ingénierie est d’ailleurs une des raisons qui m’a fait venir au Japon.
Bref. A ce titre, il compare Sony, grand innovateur en son temps, à Apple pour le lancement d’un hypothétique équivalent a l’iPod première génération:
Imaginez un ingénieur, bien raide dans son costume Uniqlo lors de la conférence de presse: Aujourd’hui, nous lançons un nouveau lecteur de musique portable appelé le Facile-à-Porter\_XVZ22R. D’environ 180g, il fait a peu près la taille d’une poche de chemise, a une grande capacité de stockage, d’une batterie conséquente et de taux de transfert extrêmement rapide. Il sera disponible avec différentes options et gamme de couleurs.
Bien technique mais surtout, pas moyen de savoir ce que fait le produit.
De part son expérience, il se concentre sur le marketing des produits japonais a l’étranger, les entreprises considérant le marché local comme spécifique et leur approche appropriée. Et donc refuse toute remarque sur le sujet, même si des entreprises étrangères ont dépassé certaines entreprises locales sur le marché japonais.
Les raisons
Pour lui, six raisons expliquent ce manque d’intérêt
- La langue :
Pas de mot en Japonais équivalent pour marketing, utilisé tel quel en katakana english. Problème: les Japonais reconnaissent « market » dans le sens marché soit vente et mettent de côté l’action de « -ing ». Sur ce point le français aussi réutilise l’anglais pour le mot, sauf si vous considérez que « mise sur le marché » a le même sens. Bref, personnellement pas très convaincu.
- La culture et l’histoire :
Concentration sur l’artisanat, la fabrication en général (monozukuri) d’une part et continuation du système de castes (Shinokosho) de la période Edo (du plus haut au plus bas statut)
- Samouraïs devenus ingénieurs (exemple de valeurs morales *tousse*)
- Fermiers devenus employés/ouvriers (fournisseurs des produits de base)
- Artisans devenus sous-traitants (transformant les produits de base en produits finis utiles/raffinés)
- Commerçants devenus marketeux (richesse obtenue sans rien faire)
Pour autant que l’explication me semble intéressante, comment expliquer que le secteur finance n’ait pas le même stigma au Japon ? Alors que par définition, elle ne produit rien par elle même?
- La formation ou plutôt son absence :
Profs non formés, pas de spécialisation a l’université, pas de formation professionnelle, pas de formation en entreprise, …
- La gestion de carrière :
Le marketing n’est pas une voie royale dans l’entreprise mais fait quand même partie du cycle de rotation des postes. Mais pas de formation au poste, pas d’intérêt à faire quelque chose de correct etc… La direction n’est pas impliquée ou intéressée par le marketing
- Manque de motivation :
Poste a bas statut, concentration des freins de l’entreprise pour changer l’approche du marché
- Les approches de la stratégie : beaucoup trop centrée sur la vente et « émuler » ce que fait la concurrence
Comment des entreprises Japonaises peuvent réussir leur Marketing
Bob-san est fan de la fonction CMO, non pas à l’américaine en tant Chief Marketing Officier mais plutôt un groupe/service appelé Customer Marketing Office, mêlant les différentes fonctions du marketing, une rotation du rôle de leader, au même niveau que l’ingénierie et les autres services traditionnels de l’entreprise. Mais surtout, un service clairement distinct de la vente.
Certaines sociétés ont réussi leur mutation, principalement sous l’impulsion FORTE de leur CEO, mais les effets sont lents à venir. Peu importe le respect que les employés portent a leur patron, ils semblent résister très fortement a la nouvelle direction (« The wow design is then put through the boring machine and put into the market »)
Le mot de la fin
L’approche est intéressante et semble coller avec ce que j’ai pu voir pendant mes deux ans ici. N’ayant pas d’expérience professionnelle longue ici et encore moins dans une entreprise japonaise typique, je vous laisse commenter et faire part de vos remarques et avis en commentaire (Edit : Maintenant j’en ai et je confirme. Et ça s’applique aussi au tourisme).
La présentation est un résumé de son livre tel que présenté il y a un an devant une société d’investissement
Pour ceux que ça intéresse, la présentation est disponible sur Slideshare (en anglais):