La propreté au Japon
C’est un des marronniers du Japon : la propreté règne. C’est donc dans surprise que Nautiljon a republié un article sur le sujet, ou plutôt une traduction partielle d’un article de RocketNews.
Et pour faire simple, le ton de cet article me dérange.
TL;DR : Oui, c’est globalement propre, Non, ce n’est pas grâce à une mentalité japonaise particulière
Le Japon, le pays de la propreté ?
Pour répondre simplement : oui et non.
Tout comme en France, les lieux publics sont relativement propres et beaucoup d’efforts sont fournis pour les maintenir dans un état correct.
Comme partout, il y a des endroits que l’on peut difficilement qualifier de propre (Shibuya par exemple ou le sol est couverts de divers liquides non identifiés et malodorants en permanence. Heureusement qu’il pleut de temps à autre). Evidemment, si vous restez dans les grandes rues des quartiers chics de Tokyo (Iidabashi/Kagurazaka, Hibiya, Aoyama…)
Il est facile de tomber dans l’extrême et de présenter des exemples comme ici Shibuya après Halloween en 2017.
Au quotidien, on se retrouve bien plus souvent avec des emballages plastiques abandonnés, des cannettes en tous genres etc.
Angelo résume très bien le sujet dans son article d’il y a quelques années. Le Japon est un lieu où les gens vivent. Ce n’est pas uniforme. Ce n’est pas parfait. Et c’est justement ce qui rend la vie ici intéressante.
Si vous êtes curieux niveau propreté, la prochaine fois que vous irez au restaurant, regardez derrière le comptoir et comparez avec la France.
Il faut également sortir du seul Tokyo, qui du fait de sa population, concentre à la fois le pire et le meilleur.
Le contraste avec la France
Mais c’est surtout quand les comparaisons sont faites avec la France que les esprits s’emballent. Comme lors des nombreuses comparaisons entre les trains Japonais et la SNCF. On peut aussi supposer que dans certains cas, il s’agit plus d’une comparaison entre le Japon et les États Unis quand certains articles se contentent de traduire un blog américain sans prendre de recul. Mais je m’égare.
Il y a au moins deux aspects dans la comparaison : la différence de regard et les différences de pratiques.
Beaucoup de ceux qui mettent en avant leur expérience de la propreté japonaise se basent sur expérience en tant que touristes. Une semaine, un mois à parcourir le Japon, profiter au maximum de l’expérience. Dans ce genre de cas, beaucoup restent dans les zones touristiques qui font l’objet d’une attention toute particulière. Ou restent dans les grandes villes. Dans tous les cas, ils ont les yeux remplis de la nouveauté et tellement de choses à voir que ce genre de mondanités devient invisible. Et d’un côté, c’est bien.
Leur point de référence en France cependant est un pays qu’ils connaissent comme leur poche. C’est le quotidien qui marque et qui reste à l’esprit, les mondanités, les nombreuses petites usures du quotidien.
La nouveauté (voire la réalisation d’un rêve) contre un quotidien usé, la France a peu de chances.
Les pratiques sont différentes également. L’absence de poubelles au Japon (tout du moins à Tokyo) depuis les attentats au gaz sarin en 1995 est très connu (même si lesdites poubelles sont réinstallées peu à peu, et qu’il y en a dans la quasi totatlité des combinis et qu’il y a des combinis a tous les coins de rue). Et c’est un gros contraste avec Paris qui après les attentats de 1995 a choisi de garder ses poubelles (même si elles ont été condamnées pendant longtemps) mais de les rendre transparentes.
Garder des poubelles concentre le regard dessus également. Si les français ne sont pas forcément champion pour mettre les ordures DANS la poubelle, elles sont regroupées à proximité. Au Japon, l’absence de poubelles publiques poussent les gens à repartir leurs canettes vides et autres déchets un peu partout le long des murs, près des compteurs électriques, entre les bâtiments. Une autre approche… qui génère moins de concentration mais loin d’être de la propreté.
En quoi l’article me dérange
Allons au coeur du problème. L’article dit simplement que les Japonais ont la propreté dans le sang. L’article anglophone d’origine va plus loin en parlant de « wa de la propreté ». Ce qui est argument des nationalistes japonais depuis des années pour les différencier du reste de l’Asie. On est donc dans un argument raciste de base et répété tel quel par Nautiljon (et RocketNews). Dire que Shibuya ou Shinjuku ou Shibuya sont sales à cause de la fréquentation touristique tient du même genre d’arguments.
meiji
En suivant l’argument jusqu’au bout, un peuple naturellement propre tel que décrit par l’article n’aurait pas besoin d’équipes de nettoyage, chacun se chargeant de sa propreté et de celle de son environnement immédiat.
Or les équipes de nettoyages sont omniprésentes au Japon. Que ce soit pour les Shinkansens, dans les lieux publics etc. Même les associations de nettoyage de quartier sont un exemple que cet argument est fallacieux : ces associations existent parce qu’au niveau individuel, il y’a de gros manquements.
La propreté des Japonais
Comme dit plus haut, pour moi, la propreté au Japon est du même niveau qu’en France. Les pratiques sont différentes, les problèmes aussi, mais au fond, ce qui ne change pas, c’est qu’on parle d’êtres humains.
Oui, il y a des problèmes de propreté. Et les Japonais en sont conscients. Le Mont Fuji croule sous les ordures et c’est pour ça qu’il n’est “que” sur la liste World Heritage de l’Unesco et c’est leur résolution qui les amènera a une qualification plus proche de la culture Japonaise (World Cultural Heritage). Dixit le site de l’UNESCO. Et je suppose que c’est un sujet de fierté nationale d’arriver à ce résultat. Et c’est pour ça qu’une petite donation de 1000¥ est recommandée avant de faire l’ascension, et ce depuis 2013, soit deja bien avant l’énorme boom du tourisme étranger, surtout visible a partir de 2015.
Les plages sont aussi régulièrement pointées du doigt. La discussion est souvent sur l’origine des déchets (forcément, sur un front de mer), et dérive facilement sur du racisme anti-Chinois ou Coréens. Sauf que ça ne change pas le fait que les plages restent sales. Et qu’une partie des déchets vient bien du Japon. L’ironie, c’est qu’une partie des associations qui prennent en charge le nettoyage des plages sont démarrées par des étrangers qui trouvent que ça ne correspond pas à l’image du Japon.
On pourrait aussi parler de l’invasion de rats imminente à Ginza lors de la future relocation du marché de Tsukiji (même problème quand les halles de Paris ont été déplacées à Rungis). Ou l’état lamentable après les festivals d’été. Ou pendant ou après les hanamis.
Enfin, il faut mentionner l’association japonaise Green Bird fait regulierement partie du discours sur la soit-disante propreté japonaise a l’occasion des campagnes de ramassages organisées par ses membres en France. Sauf que c’est faire l’impasse sur deux aspects importants :
- tout d’abord, c’est une association bel et bien japonaises, créée au Japon pour traiter les problemes de propreté et de déchets au Japon. Et qui a ensuite ouvert des antennes un peu partout dans le monde (au Sri Lanka, aux US (Anaheim et Boston), en Italie, Allemagne ou aux Fidji). On ne parle pas de touristes isolés dans ce cas, mais bien d’une organisation issue d’un problème tres local japonais.
- c’est aussi oublier les associations locales d’étrangers et/ou les actions ponctuelles menées par des non-japonais au Japon. Dans ce sens la, dit-on que ce sont des personnes ayant un sens inné de la propreté de par leur culture prenant les choses en main face aux pratiques immondes visibles dans le pays ?
L’évolution du concept de propreté
Ce qui est plus intéressant que cette liste de tous les maux, c’est l’évolution de la société japonaise par rapport à la propreté. Et ce n’est pas si ancien ou si ancré dans la culture japonaise que ça.
Le Mainichi Shinbun a publié un article très intéressant sur le sujet: « La réalité de cette si belle tradition » (en japonais). De quand date la prise de conscience des japonais sur la propreté ? Apparemment des années 1960. A cette époque, Ginza, quartier chic par excellence, a un jet de pierre du coeur historique de la ville et du palais impérial était surnommé « La montagne de déchets ». Pas vraiment chic. Pas vraiment « japonais ». Au point que la propreté des Japonais faisaient le gros des critiques des gens venus voir les JO de 1964. Et c’est la pression du groupe, les initiatives des entreprises et des collectivités qui sont parvenus à créer cette image de comportement personnel venant de temps immémoriaux.
Meme sans remonter aussi loin, les articles, autant dans les journaux que dans la recherche, peignent une image bien moins rose que le discours qui règne aujourd’hui sur les réseaux.
Le mot de la fin
Plutôt qu’une litanie de critiques ce que je souhaite mettre en avant, c’est que le Japon est imparfait et c’est parfait comme ça. Le Japon n’est pas constitué d’une armée de robots immaculés sortis de la cuisse à Jupiter.
Et si vous avez lu jusqu’ici et que vous avez la rage, je vous conseille de relire le TL;DR tout en haut de l’article.
EDITs: Quelques clarifications suite aux commentaires de lecteurs (orthographe, source des photos). Et pour mes sources, même si une partie de l’article ne représente que mes opinions (la comparaison avec la France principalement), le reste était déjà sourcé : affutez votre anglais et votre japonais et cliquez sur les liens.