Achikochi

Sumo : une tradition qui évolue

2018-04-14 | Lecture : 6 min

AAlors que l’Association du sumo se crispe de plus en plus au sujet des femmes sur l’arène après ce qui s’est passé la semaine dernière, je voulais déterrer un article que j’avais mis de côté il y a quelques mois.

Cet article publié par Nippon.com fait le point avec Lee Thompson, spécialiste du sport japonais traditionnel, sur la création du sumo tel qu’on le connaît aujourd’hui, que ce soit dans son approche ou dans les symboles traditionnels utilisés. Une simple traduction mais un article très intéressant.

Comment les médias ont façonné les traditions modernes du sumo

Le sumo se fait fort d’une tradition ancienne, allant jusqu’à 2000 ans selon certaines sources. La quasi-totalité des aspects du sport (de la tenue et gestes des lutteurs jusqu’aux rituels accomplis lors des tournois) ont l’air d’avoir été transmis depuis l’antiquité.

Cependant, de nombreux aspects du sumo tels que connus par les fans d’aujourd’hui sont apparus relativement récemment. A l’occasion d’une présentation récente à l’International House of Japan, le professeur Lee Thompson (Université de Waseda) a mis en lumière plusieurs de ces nouvelles traditions, notamment le système de championnat actuel où le rikishi (lutteur) avec le meilleur score remporte les honneurs du tournoi, ainsi que l’image traditionnelle du sport.

La réussite au cœur du sport

Thompson, spécialiste de la sociologie du sport et co-auteur du livre « Une histoire du sport japonais » retrace le début de ces changements au milieu de l’ère Meiji (1868-1912) et met en avant l’influence prépondérante des journaux.

Une des inventions modernes qui a révolutionné le monde du sumo est le développement du championnat actuel, basé sur la réussite individuelle des lutteurs. Selon Thompson, les tournois (ou basho) ne couronnaient pas de champions ni n’offraient de récompenses aux meilleurs lutteurs et ce pour la plus grande partie de l’histoire du sumo. Les performances d’un lutteur lors d’un tournoi avait peu de conséquences et ses promotions dépendaient plus de sa popularité que de ses réussites dans l’arène.

A partir du milieu du 19ème siècle cependant, les journaux ont peu à peu orienté le regard du public vers les performances générales des lutteurs. Une des premières conséquences a été l’apparition des feuilles de scores appelées hoshitori-hyo, littéralement « tableau des étoiles décrochées » lors de leurs matchs. Les premiers feuilles de scores sont apparues dans le Yomiuri Shimbun en 1884 pour présenter sommairement les résultats à la fin d’un tournoi. En 1900, ces mêmes feuilles de scores étaient devenues un élément central des articles quotidiens sur les tournois en cours. Un siècle plus tard, elles sont toujours là et ont évolué pour donner un aperçu complet des leaders de la prestigieuse ligue makunouchi.

L’impact des hoshitori-hyo fut aussi aidé par la mise en place de récompenses pour les meilleurs lutteurs, ce qui a accru l’intérêt des fans pour les vainqueurs et les perdants. Le journal Jiji Shinpo innova en créant un prix au tournoi de 1889, le donnant à tout lutteur qui terminerait invaincu. A l’époque cependant, les règles offraient plusieurs niveaux de décisions au delà du simple vainqueur / vaincu. Par exemple, il était possible d’arriver à un match nul entre deux lutteurs de capacités égales. Ou encore, l’absence ou le refus du match était enregistré comme tel et non pas comme un forfait. De ce fait, un lutteur pouvait très bien finir le tournoi sans remporter tous ses matchs, voire aucun.

C’est un lutteur du nom de Konishiki à qui a remporté le premier de ces prix dans la ligue makunouchi mais, avec 7 victoires, un match nul et un jugement reporté, il l’a fait sans remporter la totalité de ses combats. D’autres trophées ont été remis à deux autres lutteurs d’une ligue inférieure après que ceux-ci se soient rencontrés en finale en étant tous deux invaincus.

D’autres journaux ont eux aussi mis en place des récompenses pour les lutteurs invaincus. Cependant, sans méthode claire pour identifier les vainqueurs, nombreux sont les prix restés sans vainqueurs si aucun lutteur ne parvenait à terminer un tournoi sans défaite. Pour palier à ce problème, des quotidiens comme le Osaka Mainichi Shimbun se sont mis, à partir de 1900, à remettre des prix pour les meilleurs parcours. De nouvelles règles ont été mises en place pour récompenser les lutteurs avec le moins de défaites ou celui avec le meilleur classement en cas d’égalité, le tout dans l’optique d’identifier à coup sûr un vainqueur clair à la fin des tournois. Petit à petit, ces prix se sont limités aux plus hautes divisions mais sont aussi devenus réguliers plutôt qu’uniques.

L’intérêt du public grandit et les journaux s’attelèrent à créer un nouveau vocabulaire pour départager les lutteurs dans tout l’éventail de résultats possibles. Thompson cite notamment l’émergence des termes zensho ou tsuchi tukazu (qui tout deux signifient à peu près “rester propre”) et qui aujourd’hui signifient “invaincu” dans le monde du sumo mais qui a l’époque incluaient aussi les matchs nuls et les victoires par forfait. L’expression yusho, ou champion, est tout d’abord apparu pour désigner un lutteur avec un très beau palmarès mais pas forcément le vainqueur d’un tournoi comme c’est le cas aujourd’hui. Thompson note aussi que bien que la mise en place du système de championnat ait figé une grosse partie du vocabulaire du sumo, celui-ci continue à évoluer.

Il ne peut en rester qu’un !

Enjaillée par l’intérêt grandissant pour son sport, la Nihon Sumo Kyokai (Association Japonaise de Sumo), a pris des mesures pour continuer à soutirer de l’argent des poches des spectateurs en formalisant certains aspects du sumo. Ainsi, en 1909, l’association ouvrit le Kokugikan, un bâtiment dédié au sumo à Tokyo, En 1926, elle intègre formellement le système de championnat discuté plus haut et en 1928, elle introduisit les règles pour assurer qu’un seul vainqueur par tournoi, éliminant les forfaits. Un des derniers changements qui a créé le championnat tel qu’on le connaît aujourd’hui, c’est la mise en place de d’épreuve de “mort subite” en cas d’égalité de deux lutteurs.

Une image qui évolue

Thompson rappelle que la popularité du sport, propulsée par les médias, a aussi inspiré l’association à donner une image plus traditionnelle au sport. En 1909, l’association a changé les uniformes des arbitres, passant des “simples” kamishimo, les habits de cérémonie de l’ère Edo, aux hitatare, tenue qui date du moyen age. De la même façon, en 1931, le chapiteau au dessus de l’arène fut changé par un chapiteau de style shinmei-zukuri (celui utilisé dans les sanctuaires shintos d’Ise), remplaçant celui de style irimoya, jugé trop rustique.

La radio et la télévision ont aussi participé a la façon dans le sumo est vécu aujourd’hui. En 1928, le shikiri, la cérémonie de purification de l’arène où les lutteurs se font face et jettent des poignées de sel, a été limitée a 10 minutes pour garder l’intérêt des auditeurs alors qu’il n’y avait aucune limite initialement. Plus tard, cette limite fut encore abaissée à 4 minutes pour les meilleurs lutteurs et encore moins pour les autres, tout ça sur demande de la télévision.

En conclusion, Thompson note que le développement du système de championnat et la traditionalisation du sumo a fortement changé la façon dont les fans modernes voient le sport et ses participants. Alors que les lutteurs n’avaient traditionnellement pas bonne réputation, ils sont aujourd’hui tenu d’incarner la dignité (hinkaku). Cependant, les lutteurs restent humains et font des erreurs, comme l’ont prouvé les scandales de ces dernières années, que ce soient les matchs truqués ou les cas de violence en dehors de l’arène.