Achikochi

Productivité japonaise

2020-01-12 | Lecture : 6 min

La légendaire productivité japonaise. S’il y a bien un sujet sur lequel je n’aurais jamais pensé devoir écrire un article ici, c’est bien celui-ci.

Parce que oui, les Japonais travaillent en moyenne 200h de plus que les Français…

… mais ca ne se traduit pas forcément en résultat et le chauffage de siège dans les bureaux des entreprises fait aussi partie des aspects les plus connus de la culture d’entreprise japonaise.

Surtout que les courbes au dessus sont issues des chiffres officiels transmis a l’OECD et n’incluent donc pas:

  • les fameuses service-zangyo, ces heures supps non payées et non comptabilisées,
  • toutes les activités bénévoles qui sont « fortement recommandées » pour certaines professions comme l’encadrement activités scolaires et extra-scolaires par les enseignants.

Productivité, je crie ton nom

Pour citer ce grand sachant qu’est Wikipedia :

En science économique, la productivité est le rapport de la production de biens ou de services à la quantité de facteurs de production ou intrants (parmi lesquels, le capital et le travail) utilisés pour produire ces biens ou services
Productivité – Wikipedia

Et plus précisément puisque c’est le sujet de cet article, la productivité du travail, en macro-économie, c’est le PIB divisé par la population active (et en activité, cad, en age de travailler mais pas au chomage).

Et là, ce qu’on voit est très différent : le Japon sert de voiture balai du G7, très loin des États-Unis ou de la France. En 2018, le Japon produisait 29% moins par personne active que la France. Comme quoi, ça a du bon les 35h et les 5 semaines de congés + RTT…

Pire, depuis 2015, la productivité japonaise stagne voire décroit doucement. Pas un bon signe alors que le gouvernement japonais, loin de se voiler les yeux sur le sujet, essaie d’augmenter ladite productivité.

En aparté, je serais curieux de connaitre la baisse de productivité engendrée par la préparation des JO de 2020 (remportés en 2014), vu que de nombreuses, bien trop nombreuses activités sont sous le sceau du bénévolat et du volontariat.

Et par heure alors?

Pour revenir a la discussion initiale, on peut faire le même constat en regardant la productivité horaire.

Un joli -36% de production par heure. Et l’écart se creuse !

Et dans le futur ?

Grande question.

Les grands défis déjà listés sont toujours d’actualité. Entre vieillissement de la population et le manque de confiance dans le futur des Japonais, de grands changements seront nécessaires.

Ces longues heures improductives, suivies par quelques heures a cravacher pour tenir les délais sont un des reproches que font les femmes aux entreprises japonaises et limitent leur envie de s’impliquer dans les entreprises classiques (d’ou la grande part de temps partiels et autres baito, et, d’après mes discussions, une plus grande envie de travailler en freelance).

L’exemple de Microsoft

J’ose espérer que la réduction du temps de présence continuera, non pas a cause du maquillage des heures supps mais par la réalisation que le présentéisme ne suffit pas. L’expérience de Microsoft en aout 2019, qui est passé à la semaine de 4 jours pendant 1 mois avec des gains de productivité de 40%, est intéressante. A voir si cette approche peut être étendue a d’autres entreprises, sachant de Microsoft, en tant que gaishikei, est, de base, très loin de representer les méthodes de travail des entreprises japonaises. A voir si, même au sein de Microsoft, ce n’est encore une fois qu’une démonstration de l’effet Hawthorne et que les gains de productivité sont en réalité bien moindre.

Bureau vs Ateliers

J’aimerais aller plus loin dans cette courte analyse mais selon cet article du Nikkei (en), il y a une grosse différence de productivité entre les bureaux et les ateliers. Entre le secteur tertiaire et le secteur secondaire. Peu d’activités innovantes sortant des bureaux, plutôt la continuation d’une routine et/ou rester occupé. C’est à dire, la démonstration quotidienne de cette phrase de Peter Drucker :

The most serious mistakes are not being made as a result of wrong answers. The true dangerous thing is asking the wrong question.
Peter Drucker

Vous voulez un exemple qui ne peut naître que dans un bureau japonais ? Voila :

Un robot qui tamponne les documents avec le hanko officiel, de la bonne façon.

C’est lent, mais ça marche. Et ça conviendra sans doute au manager Tanaka qui veut que les tampons soient toujours a 3mm du bord de la page, et parfaitement aligné, voire légèrement inclinés pour simuler une courbette.

Une bonne solution pour améliorer la productivité aurait nécessité de réfléchir si tous ces tamponnages étaient nécessaires. Au pire, remplaçable par une signature électronique. Des process de délégation. Etc

Mais ça ne permet pas de mettre en avant des robots conçus par Hitachi (C’EST LE FUTUR !) mais surtout, il faut respecter les conflits d’intérets. Il ne faut surtout pas mordre la main qui vous remplit les poches (et vous fait élire) :

According to the Asahi Shimbun, recently-appointed IT Minister Naokazu Takemoto, who also happens to chair the Parliamentary Association to Protect Japan’s Seal System and Culture 日本の印章制度・文化を守る議員連盟, announced in a press conference on September 12th that hanko makers’ survival is at stake, so replacing hanko with digital signatures cannot be rushed. He then added « Seals and digital society should not be regarded as conflicting things, » and that it’s possible to let them flourish together.
Asahi Shibun

Mais bon, je m’égare.

Ce que j’apprécie dans cette idée que les ateliers sont productifs mais que les bureaux brassent du vent, c’est que ça correspond a ce que j’ai pu voir ces cinq dernières années.

En bon ingénieur de production, ce sont les ateliers qui m’ont attiré. La production. Le secteur secondaire. Le futur des années 2000 tel qu’imaginé dans les années 60. La part belle faite a l’objet, a l’industrie, aux Ibuka, Toyota et autres Matsushita. Et c’est toujours un secteur qui marche. L’industrie, surtout dans le B2B est toujours impressionnante.

Mon experience dans les bureaux est à l’opposée de tout ce que j’avais pu connaitre de l’industrie, en France et au Japon. Des journées de 60 minutes de travail réel. Des réunions pour le principe. Des matchs de tennis interminables (en mois !) entre deux équipes pour donner une réponse simple. La panique en cas de demande du client et/ou a l’inverse le dédain pour les demandes des clients… Bref, process et nemawashi avant le résultat. Oh, et le manque d’investissement dans la formation.

Là où c’est potentiellement effrayant, c’est que la part des secteurs primaire (agriculture) et secondaire (industrie, construction) est en baisse par rapports aux activités de service (tertiaire, y compris IT, tourisme, service a la personne… ). Pire, ce sont ces services que le gouvernement veut favoriser. Et vu la productivité actuelle, le futur ne sera pas brillant.