Achikochi

Le Bushido, ou l’histoire réécrite

2016-12-28 | Lecture : 41 min

Cet article sur le Bushido est une traduction d’un article sur Tofugu écrit par Rich, qui touche a la représentation d’un pays par ses propres citoyens et comment cette vision peut être différente de la réalité mais cependant transformer l’image du pays et aussi servir a des fins nationalistes. Si c’est vrai pour le Japon et l’Asie en général, c’est aussi vrai pour l’Afrique (l’Orientalisme en général) ou l’Amérique du sud.

Sur ce, voici l’article.

Parler de Bushido appelle immédiatement des images de la caste des samouraïs. Une caste qui se targuait tellement de préserver son honneur qu’elle préférait s’ouvrir le ventre lors d’un suicide rituel plutôt que de vivre dans le déshonneur.

Dans Le Dernier samouraï, le bushido fusionne avec l’âme de Nathan Algren, soignant l’Américain troublé de son alcoolisme, de son traumatisme de guerre et répare sa confiance en lui-même. Une vraie panacée. Remis sur pied, purifié, Algren se retourne contre son précédent employeur et rejoint un groupe de samouraïs rebelles voulant préserver le bushido, leur sacro-saint code d’honneur de loyauté, bienveillance, chevalerie et maîtrise de soi.

Ou en tout cas, c’est ce que la culture populaire voudrait nous faire croire. Dans les faits, le terme même de Bushido n’était pas reconnu avant le début de XXème siècle, bien après que le personnage de Nathan Algren n’ait rejoint la rébellion de Satsuma et des années après que la caste des samouraïs n’ait été dissoute. Il est peu probable que les samourais eux-mêmes aient utilisé le mot.

Il pourrait même vous paraître étrange que le bushido ait été plus considéré à l’étranger qu’au Japon. En 1900, Inazo NITOBE publie « Bushido, l’âme du Japon », en anglais et a destination des Occidentaux. Nitobe a perverti les faits pour créer une version imaginaire de la culture Japonaise et son Histoire, prêtant des valeurs chrétiennes à la classe des samouraïs, dans le but d’influencer l’image que l’Occident avait de son pays.

Tout d’abord rejetée au Japon, l’idéologie de Nitobe sera ensuite adoptée par la machine de guerre lancée par le Gouvernement. Grâce à sa vision valorisante du passé, le mouvement nationaliste a adopté le bushido, exploitant « L’âme du Japon » pour conduire le Japon sur la route du fascisme qui mènera a la seconde guerre mondiale.

Et c’est aussi ce que fait Le dernier samouraï en reprenant la description du Bushido qu’en fait Nitobe, renouvelant l’admiration des spectateurs pour un concept vénérable et un passé glorifié qui n’ont jamais véritablement existé. Mais comme le prouve l’histoire bancale du Bushido, la vérité n’est généralement qu’une arrière pensée quand il est possible de vendre du rêve, que ce soit pour changer les conceptions occidentales, alimenter la propagande de guerre ou vendre des billets de cinéma.

Inazo Nitobe

Né en 1862 dans la préfecture d’Iwate, Inazo Nitobe n’était encore qu’un bébé quand les derniers restes de la classe dirigeante des samouraïs a été démantelée. Bien qu’eux-même issus d’une famille de samourais, les Nitobe sont restés loin des champs de batailles et de la culture de la classe guerrière du vieux Japon, devant connus pour leurs apports dans l’irrigation et les techniques agricoles.

A l’age de 9 ans, Nitobe monte à Tokyo pour vivre avec son oncle et commence à sérieusement étudier l’anglais. Sujet atypique à l’époque, Nitobe arrive peu à peu à la maîtrise de la langue. Dans « Mort, Honneur et Loyauté : l’idéal du Bushido », Cameron Hurst rapporte que « Fils d’un des derniers samouraïs de la famille Tokugawa… qui avait été principalement éduqué en anglais dans des écoles spéciales de l’ère Meiji, Nitobe… pouvait communiquer avec les étrangers à un tel niveau que même les plus ardents défenseurs de l’internationalisation étaient envieux ».

En 1877, Nitobe s’installa à Hokkaido ou il s’inscrit à l’Université Agricole de Sapporo. Fondé sous le patronage de William S. Clark, un fervent calviniste de Nouvelle Angleterre, l’école servit à enraciner l’engagement de Nitobe dans le Christianisme et il rejoint la « Bande de Sapporo », un groupe de chrétiens dirigé par Clark lui-même (Oshiro).

En vivant a Sapporo, Nitobe devint de plus en plus détaché de la société Japonaise, de sa culture et tout simplement des Japonais. A cette époque, l’île la plus au nord du Japon était encore principalement une étendue sauvage qui ne partageait que peu de points communs avec le reste du Japon. « Hokkaido commençait tout juste a vraiment devenir une partie intégrante du Japon à cette époque », écrit Hurst, « et donc Nitobe était isolé, géographiquement, culturellement, religieusement et même linguistiquement de ce qui se passait au Japon de l’ère Meiji ».

Une fois diplômé de L’université Agricole de Sapporo, Nitobe retourna a Tokyo pour continuer sur un troisième cycle. Contrarié par ses études, il partit pour les États-Unis en 1884 et suivit un cours à l’université John Hopkins. Une fois ces nouvelles études terminées, Nitobe voyagea a droite à gauche entre l’Allemagne, les États-Unis et Sapporo et s’engageât pendant un temps comme sous-secrétaire général de la Ligue des Nations (Samuel Snipes).

Vraiment atypique a son époque, la connaissance en littérature anglais et occidentale de Nitobe était impressionnante et le serait tout autant aujourd’hui. Oleg Benesch, auteur de l’étude « Bushido : la création d’une éthique guerrière a la fin de l’ère Meiji » écrit que Nitobe devient « plus à l’aise en anglais qu’en japonais » pour finalement « regretter son manque de connaissance de l’histoire et de la religion du Japon ».

C’est alors qu’il vit en Californie que Nitobe écrit « Bushido : l’âme du Japon ». Cette reconstruction de la caste des samouraïs a changé la perception que l’Occident avait du Japon et finira par redéfinir comment le Japon lui même interprétera le Bushido et la caste des Samourais.

Le grand rattrapage : La Restauration de Meiji

Pendant que Nitobe se plongeait dans le christianisme et la culture occidentale, le gouvernement japonais continuait son propre projet de modernisation du pays. Le professeur Kenichi Ohno de GRIPS explique que « la priorité maximale du pays était de rattraper l’Occident dans tous les aspects c’est-à-dire de devenir une nation de première classe le plus rapidement possible ».

Des années d’isolation impliquent que le Japon étaient en retard par rapports aux autres puissances mondiales sur les plans techniques et militaires. Quand le Commodore Perry est venu exposer sa puissance militaire via ses Vaisseaux Noirs au début des années 1850, Le Japon n’avait pas d’autre choix que de jouer suivant ses conditions. Pour reprendre les mots du Professeur Ohno, l’exposition aux technologies et cultures étrangères « brisèrent leur fierté », leur faisant voir leur nation comme arriérée et dépassée par le monde.

Sous Meiji, le gouvernement ne souhaitant pas tant s’occidentaliser que devenir une nation puissante sur l’échiquier mondial. Pendant que Nitobe se plongeait corps et âme dans la culture occidentale, le gouvernement développait son plan pour la modernisation du pays qui se concentrait sur trois principaux points: l’industrialisation (modernisation de l’économie), l’introduction d’une constitution et d’un parlement (modernisation politique) et expansion extérieure (modernisation de l’armée).

La modernisation politique signifiait la fin du système féodal et donc la dissolution de la classe des samouraïs. De nouvelles réglementations supprimèrent les privilèges des Samourais et réduisirent les différences entre les différentes classes. Comme l’explique « Voyages in World History »:

Les réformes de l’ère Meiji remplacèrent les domaines féodaux des daimyos par des préfectures sous contrôle du gouvernement central. La collecte des taxes fût centralisée pour consolider l’assise économique du gouvernement… Tous les anciennes distinctions entre les samouraïs et les autres classes: les samourais durent abandonner leurs sabres… et les non-samourais furent autorisés à avoir un nom de famille et à monter à cheval. Les rentes de riz sur lesquelles les familles de samourais vivaient jusque là furent remplacées par de petites compensations monétaires. Beaucoup d’anciens samourais furent contraints de devoir, honte suprême, chercher un travail.

Dans le même temps, en renforçant sa puissance militaire, le Japon cherchait à protéger ses intérêts et à devenir un acteur de la scène internationale. Sur ce plan, le Japon obtint des résultats rapides. Comme l’écrit Kenichi Ohno: « Dans le domaine militaire, le Japon remporta une guerre contre la Chine en 1894-95 et commença à envahir la Corée (avant de la coloniser en 1910). Le Japon l’emporta aussi contre la Russie dans la guerre qui les opposa en 1904-05. » Ces victoires démontrèrent que le Japon avait réussi à moderniser son armée et sa puissance et contribua à donner un coup de boost moral au pays. La victoire contre la Russie, un pays développé, prouva que le Japon était devenu une grande puissance. Et le reste du monde en pris note.

L’ascenseur social et les libertés économiques introduites en dissolvant le système féodal mené par la classe des samouraïs généra une croissance du pays jamais vue auparavant. Le programme prévu par le gouvernement commençait à porter ses fruits.

Les objectifs de Nibtobe

Pendant que le gouvernement Meiji complottait pour renforcer la présence du Japon à l’international, Nitobe cherchait a changer la perception des Occidentaux sur le Japon de l’intérieur.

A cette époque, les Occidentaux en savaient peu sur le pays précédemment isolé du reste du monde (NDTr: pas tant que ça). Les rumeurs sur le pays (une société féodale dont les armées se battent encore au sabre et à l’arc et flèches), dépeignaient un pays arriéré, isolé, simplet et archaïque. Dans « From Chivalry to Terrorism » (De la chevalerie au terrorisme), Leo Braudy écrit : « Avant la Première Guerre Mondiale, beaucoup en Europe considéraient le Japon comme une société guerrière, non pervertie par le commerce ou la supervision par des politiques issus de la société civile, avec sa caste d’aristocrates guerrier toujours en place. »

Nitobe mis son énergie dans l’écriture. En simplifiant les aspects les plus marquants et les plus grands idéaux de la culture Japonaise en des termes qu’une audience occidentale que l’Occident pourrait comprendre, il aspirait à créer une nouvelle image du Japon, bien plus noble. Écrire directement en anglais permit à Nitobe d’atteindre son but encore plus facilement. Comme l’explique Maria Navarro et Alison Beeby:

Le manuscrit original (du livre de Nitobe) était écrit en anglais, qui n’était pas la langue maternelle de Nitobe… Écrire dans une langue autre que sa langue maternelle oblige à filtrer ses propres émotions et modes d’expressions… Cela permet aussi l’auteur d’exprimer plus d’empathie pour « l’autre culture » (dans le cas de Nitobe, la culture occidentale). Par ailleurs, l’auteur devient alors conscient de ce qu’il veut exprimer ou à l’inverser cacher, de façon à rendre son oeuvre acceptable pour son lectorat cible.

En 1899, Nitobe « le pont auto-proclamé entre le Japon et l’Occident » publie ce qui deviendra son livre le plus connu : un résumé idéalisé et occidentalisé des idéaux de l’ancienne classe dirigeante du Japon.

Le Christianisme et la domestication des samouraïs

« Bushido : L’âme du Japon » représente un mélange entre la culture japonaise et l’idéologie occidentale. Nitobe amoindrit la classe des samouraïs en la fusionnant avec la chevalerie à l’européenne et la morale chrétienne. Nitobe lui-même l’avoue : « Je voulais montrer que les Japonais n’étaient pas si différent (des Occidentaux) » (selon Benesch). Bien qu’écrit et publié des années après la suppression des Samourais, « Bushido : l’âme du Japon » représente une idéalisation et vénération des Samourais.

Étonnamment, Nitobe a modelé son concept du Bushido d’après les principes de la culture occidentale et pas l’inverse comme on pourrait s’y attendre. Son livre présente un manque suspect de références à des sources Japonaises ou à des événements de l’Histoire du pays. A la place, en tant qu’étudiant en Littérature Anglaise, il puise dans des oeuvres et des personnalités occidentales pour expliquer les principes du Bushido. Nitobe cite notamment Mencius, Frédérique le Grand, Burke, Konstantin Pobedonostsev, Shakespeare, James Hamilton ou Bismarck. Des sources loin de tout lien avec le Japon, son histoire ou sa culture.

Dans sa description de l’âme du Japon, le fervent chrétien référence cite la Bible plus que tout autre source. On ne sait comment, Nitobe considèrent la Bible comme une source correcte et appropriée pour expliquer le Bushido. « Les graines du Royaume (de Dieu) telles que visibles et comprises par l’esprit japonais fleurissent dans le Bushido. » selon Nitobe lui-même.

Nitobe passe une bonne partie du livre à imputer le Bushido aux principes du Christianisme. La charité, dit-il en citant l’épître aux Corinthiens 13.4 « est patiente, elle est pleine de bonté; la charité n’est point envieuse; la charité ne se vante point, elle ne s’enfle point d’orgueil ». Nitobe explique que la bienveillance du Bushido « est incarnée par la Croix Rouge, dans sa version chrétienne, du traitement médicale d’un ennemi blessé au combat. »

Même lorsqu’il cite Saigo Takamori, samouraï légendaire, sa citation prend un sens biblique : « Le paradis m’aime moi comme les autres d’un même amour. ainsi de la même façon que tu t’aimes, aime les autres. » Nitobe l’admet « certaines de ces citations nous rappelle les sermons chrétiens et nous montre a quel point la moralité pratique des religions naturelles se rapproche des religions révélées. »

Nitobe va jusqu’à dire que les samouraïs sont les saints précurseurs, envoyés au Japon pour former le pays. « Ce que le Japon était, il le doit aux Samourais. Ils n’étaient pas seulement le pinacle du pays mais aussi ses racines. Tous les dons du Ciel sont passés par travers eux. »

Donner une âme au suicide et au sabre

Dans sa bâtardisation des samouraïs, Nitobe justifie même les plus sauvages de leurs symboles : le seppuku (aussi appelé harakiri ou suicide rituel) et le sabre, encore une fois sous l’aspect des moeurs chrétiennes. Et pour lui, tout commence par l’âme.

Il déclare que autant dans les cultures Japonaise et Occidentales, l’âme est située au niveau de l’estomac. « Toutes les versions de la Bible (que ce soit celle de Joseph, David, Isaïe ou Jérémie) soutiennent, comme dans la culture japonaise, que l’abdomen renferme l’âme. »

Cette affirmation permet à Nitobe d’exalter le suicide comme acte pieux : « L’extrême valeur placée dans l’honneur était une raison amplement suffisante pour beaucoup pour justifier de prendre sa propre vie », avant de défier ses lecteurs occidentaux de le contredire : « J’ose même dire que beaucoup de bons chrétiens, s’ils osent être vraiment honnêtes, avoueront leur fascination, voire leur admiration pour le sang froid avec lesquels Cato, Brutus ou Petronius, ainsi que de nombreux autres illustres anciens ont mis fin a leur existence terrestre. »

Le sabre a droit à un traitement similaire et Nitobe déclare que les forgerons sont des artistes plus que des artisans, les sabres des représentations de l’âme de leur propriétaire plutôt que des armes. Il explique :

La possession même de ces objets dangereux lui impose (au samouraï) un sentiment, une image de respect de soi et de responsabilité. « Ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée » (Romains 13:4). Ce qu’il porte a la ceinture est un symbole de ce qu’il porte dans son esprit et dans son coeur : loyauté et honneur… En temps de paix, il n’a pas plus d’utilité que la crosse d’un évêque ou le sceptre d’un roi.

La manipulation agile de Nitobe anoblit et révère même les plus violentes des coutumes japonaises. Son dévouement et sa connaissance du Christianisme et de la culture occidentale lui permettent de contrefaire un outil de propagande caché sous les attributs de faits historiques. Il espérait que son livre changerait l’opinion de l’occident sur le Japon, rehaussant l’image du pays aux yeux du monde.

L’accueil du livre en Occident

Le livre devint un succès en Occident. Comme l’explique Tim Clarke dans « Le code Bushido : les huit vertus des samouraïs » : « Ce livre, pas très épais devint un best-seller international », influençant certains des personnes les plus influents de l’époque. Théodore Roosevelt aurait été tellement impressionné qu’il en acheta 60 exemplaires pour distribuer a ses amis.

Bien que principalement lu par des académiques, l’influence du livre filtra peu a peu dans la culture occidentale. Selon Braudy : « Cette vision du Bushido était une image attirante pour les occidentaux… Baden-Powell (NDTr : fondateur du mouvement scout en 1908) intégra le Bushido comme code d’honneur idéal dans son exhortation des Boy Scouts. Des groupes parlementaires évoquèrent l’esprit des samouraïs telle qu’appliqué dans l’armée japonaise comme un modèle à suivre. »

Le récit de Nitobe impressionna ses lecteurs en donnant un aperçu d’un monde peu et ma connu. Sans rien pour le contredire, le lectorat occidental prit le livre comme une représentation factuelle de la culture japonaise et il est resté l’ouvrage de référence absolu sur le sujet pendant des décennies.

Réception au Japon

Au Japon, le livre reçu un accueil bien différent. Bien que le bushido ne soit pas encore devenu un concept courant, le sujet intéressait faisait déjà débat parmi les universitaires mais bien peu étaient d’accord avec la description qu’en faisait Nitobe. Bien plus que ça, « Pendant des années, Nitobe résista à la traduction de son livre (en japonais) de peur de la réaction qu’il générerait. » (Benesch). Beaucoup des lecteurs de la version originale attaquèrent le livre pour ses objectifs et ses erreurs.

Comme le rapporte Oleg Benesch, la plupart des universitaires japonais n’ont pas pris le livre au sérieux:

Au moment de sa parution, « Bushido : l’âme du Japon » reçu un accueil plutôt tiède de la part des quelques Japonais ayant lu l’édition originale en anglais. Tsuda Sokichi écrivit une critique acerbe du livre en 1901, rejetant les arguments centraux de Nitobe. D’après Tsuda, l’auteur connaissait très peu son sujet. Pour lui, l’idée de rapprocher le Bushido de l’âme du Japon était fausse du fait le Bushido pouvait au mieux s’appliquer à une seule caste. Par ailleurs, Tsuda critiqua Nitobe de ne pas faire la différence entre les différentes époques.

Pour la plupart des contemporains de Nitobe, le concept de Bushido correspondait a une définition orthodoxe et historique. Cette forme purement Japonaise du Bushido était considérée comme largement supérieure à toute forme d’idéologie étrangère. L’écrivain Tetsujiro Inoue alla jusqu’à dire que la chevalerie a l’européenne n’était « rien de plus que la vénération de la femme » et se moquait régulièrement du confucianisme comme n’étant que l’importation d’un concept chinois inférieur (Benesch). Cette école de pensée dite orthodoxe rejeta la vision « corrompue, » et christianisée du Bushido de Nitobe.

Histoire de compliquer la situation encore plus, au moment de la parution du livre, peu de Japonais connaissait le terme même de Bushido. Dans « Musashi : le rêve du dernier samouraï », Mamoru Oshii explique que « le Bushido n’était pas connu des Japonais. Le terme apparaissait dans la littérature mais ce n’était pas un mot communément utilisé. »

Benesch apporte de l’eau au moulin d’Oshii:

En fait, le livre n’était que le second ouvrage sur le sujet à l’époque du Japon moderne. Il n’y a que quatre ouvrages dans les bases de données qui référencent le mot avant 1895. A partir de là, le nombre d’ouvrage augmente peu à peu pour atteindre un total de trois en 1899 et 1900, 7 en 1901, 6 en 1902 puis des douzaines à partir de 1903.

Le livre de Nitobe précédait l’usage du mot bushido et semblait donc étranger pour le lectorat Japonais potentiel.

Pour rendre les choses encore pires, le livre idéalisait un système de classe archaïque et fondé sur l’exploitation des individus que tout le monde, à l’exception de la classe des samouraïs souhaitait voir disparaître. Les récits de samouraïs maltraitant les classes inférieures sont légion. Bien que les cas soient rares, un samouraï pouvait légalement tuer un membre d’une classe inférieure (kirisutegomen) pour « mauvaise attitude, manque de courtoisie ou conduite inappropriée » (Cunnigham).

Du fait de ces inégalités, ce n’est pas surprenant que les classes inférieures n’aient pas un amour immodéré de leurs élites. « Le dédain que la plupart des roturiers avaient pour les samouraïs étaient décrit comme légendaire » rapporte Benesch. Confronté aux inégalités et à l’immobilisme du précédent système de castes, la majorité des Japonais n’avait aucune raison d’idéaliser ou de vénérer leur ancienne classe dirigeante.

Mais, Nitobe écrivait pour une audience occidentale et n’avait donc jamais prévu que son livre soit diffusé au Japon. Écrit en anglais, faisant références a des sources anglaise et citant des faits idéalisé, son objectif n’était que d’atteindre son objectif et d’influencer les Occidentaux. Il ne s’attendait pas à ce que des gens avec des connaissances et un regard critique sur le sujet lisent son livre. Pour reprendre ses mots : « Je n’ai pas écrit Bushido pour l’audience japonaise » (Benesch).

Critique de Inazo Nitobe

La crainte de Nitobe par rapport à l’accueil que feraient les Japonais du livre se révélèrent justifiées aux vues de l’avalanche de critique qu’il reçut au Japon. Rapidement cependant, c’est Nitobe lui-même qui devint la cible des critiques. De nombreux spécialistes Japonais l’accusèrent de ne pas être qualifié pour écrire sur le Bushido, remettant en question son expertise de l’histoire du Japon et de sa culture.

Contrairement aux autres spécialistes du sujet de l’époque, Nitobe vivait en dehors de son propre pays et culture. Il a grandi en apprenant l’anglais, éloigné de la culture japonaise à Hokkaido. Par la suite, il est parti vivre à l’étranger, se mariant à une femme américaine et se consacrant au Christianisme. Bien qu’il finira par revenir vivre au Japon et devenir professeur, c’était bien après que Bushido ne soit écrit et publié. Ses critiques considéraient que Nitobe, ayant grandi et vécu loin de la culture japonaise manquait de bagage historique et culturel nécessaire pour écrire sur un sujet si Japonais dans son essence.

Le manque retentissant de référence à l’histoire et à la littérature japonaise dans son livre donnait du poids à ses détracteurs. Bushido restait absolument dépourvu du moindre fait venant soutenir ses thèses permettant a Nitobe de gloser à loisir sur un passé fantasmé.

Le peu de références japonaises qu’inclut Nitobe remettent en question son intégrité. Par exemple, bien que Saigo Takamori, cité plus haut, ait bel et bien mené la Rébellion de Satsuma, ses motivations et son suicide, tels que décrits par Nitobe ont été embellies par Nitobe pour porter Saigo au pinacle du samouraï idéal.

Pour être tout à fait correct, beaucoup des critiques de Nitobe ignoraient eux-même les faits historiques et choisissaient les éléments qui soutenaient leur propre interprétation du Bushido.

Beaucoup d’auteurs sur le sujet, même durant le 20ème siècle, avaient tendance à proposer leurs propres théories sans références à, ou considération pour, les idées d’autres commentateurs du sujet. Au lieu de ça, ils se concentrèrent principalement sur une poignée de sources historiques soigneusement choisies et d’anecdotes soutenant leurs théories (Benesch).

Mais les actions de ses critiques ne justifient pas celles de Nitobe. Au mieux, Bushido ne fait que présenter des hypothèses sans fondement et met en lumière l’éloignement entre l’auteur et la culture et l’histoire japonaise. Nitobe rejettent les faits et présente une vue bancale de l’histoire qu’il ne veut pas et ne peux pas justifier. En voulant vanter un système de valeur universel pour redorer le blason du Japon, Nitobe échoue à prouver la simple existence du Bushido.

Vous reprendrez bien une part de ce Bushido ancien tout neuf

La culture populaire présente le bushido comme un code moral concret indissociable de la sacro-sainte caste des samouraïs. Dans les faits, le terme n’existait pas vraiment jusqu’au 20ème siècle. En fait, Nitobe, un des premiers auteurs à s’approprier le Bushido, pensait qu’il avait inventer le mot en 1900.

« Des termes comme budo (la voie des armes), bushi no michi (la voie du guerrier) ou yumiya no michi (la voie de l’arc et des flèches) étaient bien plus communs. » comme l’écrit Benesch. Bien que ces termes prouvent que les idéaux guerriers avaient bien une place dans la conscience japonaise, les rendre équivalent au bushido serait une erreur.

Le concept de Bushido fut créé pendant l’ère Meiji mais ne commencera à être vraiment utilisé qu’à la fin de cette ère. Contrairement à ce que décrit l’imagerie populaire, les anciens samouraïs n’écrivaient pas ou ne discutaient pas du Bushido. Les actes déshonorants ne signifiaient pas la fin de leurs carrière comme les histoires idéalisées voudraient nous le faire croire.

Il serait ridicule cependant de dire que le Japon manquait de lois ou de codes moraux. Rosalind Wiseman l’explique très bien dans son livre « Queen Bees and Wannabes » : « Nous savons tous ce qu’est un code d’honneur. C’est un ensemble de valeurs incluant discipline, caractère, impartialité et loyauté à appliquer et faire respecter. » (Wiseman). Des petites communautés comme des ateliers ou des clubs jusqu’aux larges institutions comme les religions ou les nations, chaque culture a des codes d’honneur et des concepts de ce qui moral ou non.

Mais les représentations populaires du bushido, des samouraïs ou du Japon ancien décrivent un code de l’honneur strictement appliqué. Se déshonorer, c’était commettre un suicide à la fois physique et spirituel. Popularisé après la dissolution de la caste des samourais, des livres comme Bushido ou le Hagakure de Yamamoto Tsunetomo ont aidé à populariser ce mythe, faisant croire que les samourais vivaient et agissaient selon un ensemble de valeurs scrupuleusement établies et codifiées qui en réalité n’a jamais existé.

Certains chercheurs citent les kakun (家訓, littéralement règles de famille) comme l’origine du Bushido. « Dans beaucoup de cas, les kakuns servaient comme recommandations éthiques et de comportement pour les fils ou les héritiers de leurs auteurs et reflètent souvent des problématiques économiques ou de préservation du clan. » (Henry Smith)

Rattacher les kakuns a un code moral supérieur est un pas que la plupart des chercheurs refusent de franchir. Comme le note Benesch : « Après guerre, il n’y a pas ou peu de mentions de lien entre le Bushido et les kakuns. Les preuves montrent que cette association est un produit des dernières années de l’ère Meiji. » Transmises de générations en générations, les kakuns variaient grandement de famille en famille. Les parchemins devenaient des éléments de l’héritage, pas un ensemble de règles à appliquer.

Les premiers essais sur le sujet montre justement à quels points ces règles étaient floues. « Si on étudie les matériaux de départ et les essais postérieurs traitant du système moral des samouraïs, on ne trouve pas un système unique, largement accepté et spécifique à la classe des guerriers en aucun point de l’histoire pré-moderne du Japon. » (Benesch). Par ailleurs, les guerriers se concentraient sur la victoire et leur survie, la bataille ne reposait pas sur des codes d’honneur contre productifs.

Les lois et codes moraux mis en place pendant l’ère Meiji visaient justement à mettre sous contrôle la sauvagerie incontrôlée de la classe des samouraïs alors qu’il passaient du champ de bataille à la vie civile. « Dans les siècles précédents, les samourais étaient trop occupés à se battre et ne commencèrent à s’intéresser à l’éthique que pendant la période relativement pacifique de l’ère Edo. »

Sans guerre à mener, le gouvernement Tokugawa mis les sabres au rang de simple symbole de caste, le symbole ultime de statut. Les samouraïs devinrent des bureaucrates de haut rang avec du temps libre pour se consacrer à la philosophie. Les idées d’honneur et d’étiquette allaient à l’encontre de la déloyauté et la violence gratuite et permettaient au gouvernement Tokugawa de maintenir leur contrôle sur un Japon unifié.

Le samouraï honorable : réalité ou fiction ?

Le Bushido n’a donc jamais existé en tant que code d’honneur ou simplement comme mot dans le Japon ancien tel que le décrit « Bushido : L’âme du Japon ». La représentation que Nitobe fait de la classe des samouraïs elle-même est une construction. Comme tous les êtres humaines, le code morale des samourais variait d’un individu à l’autre.

Les écrits historiques montrent que les samouraïs ne suivaient pas un code d’honneur, ce qui aurait été un bagage encombrant en vue de la survie, de la victoire ou tout simplement d’une vie confortable. Comme l’écrit Timon Screech « on parle d’une mythologie. La croyance que les samourais ont un jour combattu à mort ne résiste pas à la moindre recherche, tout comme la croyance qu’ils se sacrifiaient quand une rédemption était nécessaire. Le slogan « la voie du samouraï est la mort » fut inventé bien après que la more eut cessé d’être une préoccupation des samourais ou une possibilité dans leur vie… C’étaient des bureaucrates. »

Bien que présenté comme une pratique courante, le seppuku n’était pas un élément central de la samourai-attitude. « C’est trop douloureux », explique Screech, « Le suicide prenait plutôt la forme d’une simulation réalisée à l’aide d’un sabre en bois voire d’un éventail en papier et, au signal, un assistant venait couper la tête, proprement et sans douleur. »

Benesch ajoute que le seppuku était « réservé a des situations sans espoir dans lesquels un guerrier vaincu était certain de passer à la torture, une pratique commune à l’époque. » Dédaignant les faits historiques, les auteurs ont idéalisé la pratique et l’ont exaltée comme forme ultime d’honneur.

Que faire du sabre, la soit-disante âme du samourai? Pour Charles Sharam : « Avant l’ère Tokugawa, les samouraïs étaient en fait des archers à cheval hautement qualifiés, utilisant de temps à autres d’autres armes si nécessaire. Pour la majeure partie de leur histoire, le sabre n’était pas une arme importante de leur arsenal. »

Souvent décrites comme l’opposé absolu du sabre dans les écrits modernes, les armes à feu en sont venues à symboliser la disparition des valeurs des samouraïs. Ces armes étrangères, bruyantes et sales (littéralement du fait de la fumée et de la poudre à canon) représentaient une façon déshonorante de tuer à distance. Mais quelle différence par rapport à l’arc, l’arme de prédilection des samourais ? Bien que plus élégants, les arcs aussi tirent des projectiles et tuent à distance. Est-ce que les arcs ne devraient pas être considérés au même niveau que les armes à feu ?

Par ailleurs, les samouraïs avaient le privilège et l’avantage d’aller au combat à cheval. En fait, Oshii pense que Miyamoto Musashi a créé sa légendaire technique niten-ichi (二天一) ou technique aux deux sabres, pour avoir une meilleure assise et être plus efficace dans ses tueries du haut de sa selle. Que ce soit les tirer à distance ou les découper du haut d’une selle, techniques avantageuses s’il en est contre des fantassins, contredit l’image honorable du calme épéiste popularisé par les descriptions modernes du samouraï.

Par ailleurs dans Bushido, Nitobe décrit la loyauté comme le plus brillant des attributs du samouraï. Cependant, les samouraïs ont entaché l’histoire japonaise d’exemples flagrants de déloyauté et de trahisons. On peut citer G Cameron Hurst III :

En fait, un des problèmes les plus troublants de l’époque pré-moderne était justement cet écart entre… des codes demandant une loyauté absolue et les trop fréquents épisodes de trahisons qui parsemaient la vie des guerriers du Japon médiéval. Ce ne serait pas une exagération de dire que les plus grandes batailles du japon médiévale ont été faites ou défaites par des défections, c’est-à-dire la trahison, d’un ou plusieurs vassaux du général vaincu.

Et bien que le Bushido rejette le matérialisme, les samouraïs n’étaient pas des modèles d’anti-matérialisme tels que présentés par les auteurs comme Nitobe. Selon Benesch:

Être loyal avait un prix. La réciprocité était requise à toutes les étapes de la transaction… et la plupart des samouraïs évaluaient leur vie plus cher que celle de leurs supérieurs… Par ailleurs, les pillages répétés de Kyoto mettent évidence le manque d’éthique et la grande importance que les guerriers mettaient dans l’apparence représente l’antithèse de l’image populaire du samouraï austère et frugal.

Un style de vie honorable ?

Tokugawa introduit une période de paix sans précédent qui changea à jamais la vie des samouraïs. Beaucoup de samourais durent passer du champ de bataille à la vie civile. En tant que notables, les samourais obtinrent des postes bien placés dans la bureaucratie du nouveau gouvernement. Les sabres devinrent un symbole de statut, pas de bataille. Avec leur temps nouvellement libéré, ces samourais profitèrent des loisirs comme la cérémonie du thé ou la calligraphie. D’autres préféraient fréquenter les quartiers chauds.

Pendant que les paysans se tuaient à la tâche dans les champs pour nourrir le pays et payer les taxes, et que les marchants tentaient de maintenir une place respectable dans la société, les samouraïs travaillaient tranquillement dans un bureau et touchaient une rente de riz. Leur revenu disponible les autorisait à profiter du luxe du matérialisme et rapidement, les samourais devinrent la classe la plus chic. En d’autres mots, les samourais étaient l’équivalent des 1% (dans les faits, 6~8% suivant Don Cunningham) de l’ère Edo.

Mais tous les samouraïs ne profitaient pas de la vie de la haute société. Les samourais de basse classe ne recevaient qu’une maigre rente qui ne leur permettait qu’à peine de survivre. Limité par les lois édictées sous Tokugawa qui leur interdisait de travailler en dehors de leurs attributions de classe, certains samourais abandonnèrent leur statut et devinrent artisans ou fermiers. (Cunningham)

D’autres ne parvenaient pas à trouver du travail. Ceux-là se tournaient souvent vers des actes déshonorants. Comme l’explique Don Cunningham dans « Taiho-jutsu : La loi et l’ordre à l’époque des samouraïs » : « Confrontés au chômage et â une place mal définie dans leur nouvelle société, de nombreux samourais eurent recours à des activités criminelles, à la désobéissance ou au mépris des ordres. Ayant peu de perspectives d’avenir et des frustrations de plus en plus importantes, ces samourais s’habillaient et parlaient de façon flamboyantes, harcelaient les classes inférieures, rejoignaient des gangs et se battaient dans les rues. »

Que ce soit en tant que fonctionnaires ou de bandits de grands chemins, les samouraïs sous Tokugawa ont peu fait pour soutenir les descriptions que faisait Nitobe de leur classe, tenue par l’honneur et avec une morale sans faille desquels les autres classes devraient s’inspirer.

Des interprétations honorables ?

La perte de statut de samouraï introduite par le gouvernement Meiji ne leur a pas plu, eux qui s’étaient faits au système des Tokugawa. Comme le décrit Benesch : « »Les samouraïs ont vu leur statut de plus en plus menacé économiquement par des roturiers de plus en plus puissants, certains d’entre eux allant jusqu’à acheter des privilèges réservés aux samourais comme le droit de porter le sabre. » Devenu inutile en temps de paix, même le sabre, l’ »âme » et le symbole des samourais avait perdu toute signification. Le nouvel ascenseur social permettait à tous de défier les samourais, que ce soit en richesse ou en statut.

Comme le prouve la Rébellion de Satsuma en 1877, ces changements ont poussé certains samouraïs a agir. « En supprimant petit a petit leur rente et leur statut … on a créé un large groupe de samourais insatisfait, un certain nombre d’entre eux se regroupant autour de Saigo Takamori et fomentant des rébellions. »

Des histoires fantasmées comme « Bushido : l’âme du Japon » ou « Le dernier samouraï », décrivent Saigo comme un défenseur de la vérité, de l’honneur et de la pureté du code du guerrier. En fait, des nostalgiques d’une époque passée se sont rebellés, essayant de maintenir leur statut et leur confortable mode de vie qui incluait une rente de riz, des terres et des passe-droits. Comme le pointe le Professeur Ohno :

La précédente classe des samouraïs, à présent privée de sa rente de riz, était tout particulièrement insatisfaite par le nouveau gouvernement qui, ironiquement, avait été mis en place par de jeunes samouraïs. Le thé et la soie connurent un succès fulgurant, qui a gonflé les prix et apporté la richesse aux fermiers. Ces fermiers nouvellement riches achetèrent des vêtements occidentaux, la classe des marchands se développa, tout particulièrement à Yokohama. L’inflation explosa et les samourais et les citadins en souffrirent.

Les samouraïs de bas niveau ou sans emploi, dont beaucoup avaient demandé ces changements, voyaient dans l’ère Meiji un changement pour le mieux. Une structure sociale plus souple signifiait que ces samourais pouvaient chercher et trouver fortune ailleurs. La fin du système héréditaire permettait aussi une plus grande mobilité sociale. D’un coup, tous ces hauts bureaucrates avaient une raison de travailler dure. Bien qu’une minorité, Saigo et les autres grands samourais avaient le plus à perdre et se sont donc rebellés.

Heureusement pour Nitobe, la notion d’honneur varie d’une personne a l’autre et est donc un concept ouvert a interprétation. Par exemple, Nitobe présente les 47 Ronins comme l’exemple ultime de loyauté alors que d’autre présente cette histoire comme une attaque en traître. Le Japon célèbre Miyamoto Musashi comme son plus grand épéiste, pourtant, il arrivait en retard aux duels et attaquaient lâchement ses adversaires. Nitobe présente la rébellion de Satsuma comme une bataille pour l’honneur et non pas une rébellion pour conserver un système de caste rigide.

Bien que Nitobe et d’autres auteurs se plaignent de la dégradation et la destruction du Bushido par la modernité, le concept n’a jamais existé de la façon dont ils le décrivent. Les samouraïs n’ont jamais été les loyaux, honorables bastions de vertu qu’ils ont représenté par la suite. Pour citer Charles Sharam dans « Samouraïs, Mythes et Réalité »: « Les samourais étaient un fardeau pour la société japonaise. Ils apportaient peu a la société mais absorbaient une part considérable de richesse. Cela dit, leur élimination au moment de la Restauration de Meiji a très certainement été pour le bien du pays ».

Fascisme – l’héritage involontaire de Nitobe

Quelques décennies après avoir dissous les samouraïs, le gouvernement Japonais trouvera une nouvelle utilité pour sa précédente classe dirigeante. Malgré des victoires militaires à l’étranger, les officiels trouvaient que les troupes manquaient de confiance et d’esprit combatif. L’image du guerrier samouraï honorable se battant a mort, telle que présentée par Bushido fournissait une solution clef en main. L’idéologie qui avait changé l’image du Japon pour les Occidentaux allait maintenant servir à alimenter le fascisme et la machine de guerre japonaise.

Pour Nitobe, le Japon venait d’une longue lignée de guerriers honorables, braves et compétents, image qui pouvait être étendue a toutes les classes. Comme il l’écrit : « De beaucoup de façon, le Bushido cascadait de la classe sociale d’où il venait et agissait comme un modèle auprès des masses, fournissant un code moral pour l’ensemble de la population. »

Ce bushido qui cascade dans toutes les couches de la population signifiait que même les citoyens de la plus basse extraction pouvaient rêver et atteindre la gloire et l’honneur des samouraïs. Cet esprit guerrier était inscrit dans l’âme japonaise. En rendant le Bushido mainstream, le gouvernement japonais cherchait à gonfler la confiance de ses soldats et citoyens en utilisant cette idéologie largement.

Par ailleurs, le bushido justifiait l’impérialisme japonais en démontrant que le Japon était moralement et culturellement supérieur aux autres nations. Suzuki Chikara, autre auteur spécialisé dans le sujet, « pensait que les pensées occidentales et chinoises étaient tout autant étrangères à celle du Japon et que le pays devrait se concentrer sur sa propre « vraie nature » et promouvoir son « esprit national » » (Benesch). Tout comme la « Destinée Manifeste » américain ou le fanatisme religieux qui a mené aux croisades, ce bushido fantasmé servait à motiver et rationaliser les velléités impérialistes du Japon.

Ayant à présent trouvé une idéologie, le gouvernement japonais devait maintenant utiliser le bushido comme « modèle pour les masses » et lancer la machine de propagande. « Civilisation et Illumination » et « Nation riche, armée forte » devinrent des slogans en temps de guerre. Le système éducatif devenu nationalisé mettait en avant des programmes pour promouvoir les éléments de langage du gouvernement et créait des citoyens illuminés et prêts pour la guerre.

Ce nouveau programme national modifia l’histoire pour coller aux objectifs du gouvernement. « Les textes de l’ère Edo qui présentaient la plus grande nostalgie pour l’avant Tokugawa furent soigneusement choisis, condensés et expurgés de tous les éléments qui iraient à l’encontre du programme nationaliste de ce début du 20ème siècle. » (Benesch)

La sélection de textes obligatoires fantasmait les événements et personnages passés. Selon Oshii « des représentations fausses furent créées pour répondre aux exigences du gouvernement. » Grâce à ces programmes, des figures autrefois inconnues entrèrent dans le domaine public : bushido, Hagakure ou Miyamoto Musashi.

Le livre gagna en popularité dans le Japon d’avant guerre grâce à son idéologie et sa vision romantisée du passé. Nitobe déclare que « Yamato Damashii, l’âme du Japon, représente ultimement le Volksgeist du Royaume Insulaire. » Définit comme l’esprit du peuple, Hitler accueillit le Volksgeist pour sa propre vision du fascisme. Tout comme le bushido, le Volksgeist célébrait l’histoire populaire du pays, son héritage culturel et sa « race ». Ces versions nostalgiques du passé ont planté les graines du fascisme qui mènera à la violence et aux tragédies de la Seconde Guerre Mondiale.

Le bushido trouvera son expression ultime avec les pilotes kamikaze et les troupiers qui se sacrifièrent « honorablement » pour leur pays. « Bien que quelques Japonais furent faits prisonniers », écrit David Powers de la BBC, « la plupart combattirent jusqu’à la mort ou se suicidèrent. » (NdTr: ou furent suicidés comme à Okinawa). Comme écrit dans les éditions du Hagakure publiées par le gouvernement que les soldats se devaient d’étudier et suivre « seul un samouraï prêt à mourir a n’importe quel moment peut se dévouer à son seigneur. »

L’héritage de Nitobe

Bien qu’il n’ait pas prévu que ce soit le cas, les élucubrations sur le passé du Japon de Nitobe ont eu des implications fascistes évidentes. Dans un éclair prémonitoire de ce qui allait venir, il écrit dans le Bushido

La discipline dans le self-controle peut facilement aller trop loin. Il peut étouffer le vrai courant de l’âme. Il peut forcer des natures souples dans formes monstrueuses et déformées. Il peut générer des bigots ou de l’hypocrisie.

Nitobe, tout comme le gouvernement japonais ont détourné la vérité et exploité le passé du Japon pour leurs propres objectifs. Grâce à Nitobe, les anciens soldats et bureaucrates du Japon devinrent d’honorables guerriers. Plus intéressé par la loyauté, la bienveillance, l’étiquette et la maîtrise de soi que la victoire, les récompenses financières ou leur rang dans la société, les samouraïs devinrent le modèle à atteindre pour les lecteurs.

Mais l’histoire évolue en permanence. Les faits disparaissent des mémoires et des années d’interprétations, volontaires comme involontaires, modèlent la compréhension du passé. Des mélanges incertains de faits, d’opinions et de mythes entrent dans l’inconscient collectif et deviennent « l’histoire vraie ».

Est-ce que Saigo Takamori a réellement fait seppuku à la fin de la Rébellion de Satsuma ? Est-ce que Davy Crockett a réellement combattu jusqu’à la mort à Alamo ou a-t-il été exécuté après s’être rendu comme certains historiens le pensent ? Est-ce que la Rébellion de Satsuma était une bataille pour la vertu ou pour le statut ? Est que la Tea Party a Boston était une rébellion contre une taxation écrasante ou des marchands américains voulant conserver leur monopole sur le thé ?

Bien qu’on ne puisse peut-être jamais connaître ou se mettre d’accord sur la vérité, il est important de se poser des questions sur les événements et les motivations de nos histoires. Dans le cas du Japon, les histoires (notamment sur la caste des samouraïs et le bushido), manipulées par le gouvernement, servirent de propagande pour instiller le fanatisme dans la machine de guerre.

La société cherche souvent des réponses aux problèmes actuels dans son passé. Comme l’utilisation bâtarde par le mouvement Tea Party du passé américain, le Bushido de Nitobe a créé une demande pour un passé disparu, pur et sans tâche qui n’a pourtant jamais existé.

Comme le prouve Le Dernier samouraï, Nitobe continue d’influencer de nos jours. Exacte ou non, sa vision simplifiée et idéalisée du bushido et des samouraïs continue à provoquer l’admiration du monde. Et tant que cela durera, la culture populaire continuera à suivre le chemin créé par Nitobe et le gouvernement japonais, exploitant cette vision irréaliste pour leur propre bénéfice : votre argent.


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