Achikochi

Manga : A l’abordage des sites pirates

2018-05-07 | Lecture : 5 min

Le manga, élément culturel au Japon et vitrine du Cool Japan à l’international, serait en danger. La cause : les sites pirates. Et la chasse semble maintenant ouverte.

Tout part d’un coup de gueule du mangaka Tetsuya CHIBA (Ashita no Joe) : les sites pirates, bien que participant à faire connaitre un manga, ne participent pas à sa création et n’encouragent pas les artistes à s’investir, empêchant les jeunes mangakas à se développer.
L’Association des Mangakas en a rajouté une couche qualifiant les sites pirates de parasites qui conduiront a la disparition de divers aspects de la culture japonaise
Shueisha et Kodansha en 2010 avaient déjà poussé un coup de gueule et fait fermer plusieurs sites de scans. Sans réellement changer les mentalités.

Vers le blocage des sites pirate

A partir d’avril 2018, le gouvernement a incité les fournisseurs d’accès à internet à bloquer les sites de mangas piratés, sur la base d’un action volontaire. C’est-à-dire qu’il n’y a aujourd’hui pas de cadre légal clairement défini sur le sujet.

Dans les jours précédents cet appel du gouvernement, certains de ces sites, notamment Mangamura, étaient déjà devenus inaccessibles. Dans certains cas par blocage par NTT, dans d’autres, les opérateurs du site ont décidé de se mettre hors ligne d’eux même, peut-être pour mieux rebondir.

Niveau cadre légal, à l’heure actuelle la loi japonaise pénalise la copie et la distribution de contenus sans autorisation des ayants droits mais pas la lecture. Le gouvernement travaillant à faire évoluer la loi, notamment pour légaliser la coupure d’accès aux sites de partage et donc l’accès aux donnés de navigation des internautes, voyons si cela continue.

Changement d’ère

Si le manga papier et notamment les prépublications hebdomadaires Shonen Jump et autres les volumes sont en baisse (prépublications : 6-7 millions dans les années 1990 contre 2 millions en 2017, manga papier en baisse de 12% en 2017 et 56% sur le 20 dernières années).

C’est cependant loin d’être le site d’un désintérêt pour le manga en tant que genre ou contenu culturel. Les moeurs et les façons de consommer ont évolué et les lecteurs se tournent maintenant majoritairement vers le dématérialisé. Et pour la première fois en 2017, les ventes de mangas papiers ont été dépassées par les ventes au format électronique

  • papier : 166 milliard de yens (-14.4%, -10% en volume),
  • électronique : 171.1 milliard de yens (+17.2%)

Le rapport de l’Association Japonaise des Editeurs de Livres et Magazines qui a compilé ces chiffres attribue ces grands changements a deux principaux facteurs. Le premier est le manque de nouvelles séries à succès. La deuxième est que les principales plateformes de mangas en ligne ont proposé de grosses réductions sur les anciennes séries a succès, augmentant d’autant l’impact de la première.

Malgré ce rattrapage des ventes numériques, les ventes cumulées sont en baisse de 0.9% en 2017. Une raison de plus pour que le gouvernement essaie d’inverser la tendance.

Manga mura : le cas de référence

Le premier site de manga pirate a avoir été fermé est Mangamura. Lancé au printemps 2017, le site a connu une popularité impressionnante, se classant au moment de sa disparition a la 31ème position des sites les plus consultés au Japon, juste derrière Kakaku (plateforme de comparaison de prix) et devant Livedoor (pourtant une plateforme mastodonte).

Le site “Kai・you” a conduit une enquête de petite envergure (73 réponses) sur l’usage que les japonais faisaient du site et leur ressenti par rapport a l’aspect piratage du site.

Sans citer tous les chiffres (allez donc lire cette traduction en Anglais, c’est très interessant), deux choses ressortent tout particulièrement à mes yeux :

  • l’absence de culpabilité à utiliser un site pirate
  • l’importance du design et coté pratique de celui-ci, proposant plusieurs modes de lectures qui correspondent aux gout du lecteur

Une efficacité douteuse

Tout comme avec Hadopi, l’efficacité du blocage et de la culpabilisation du lecteur n’est pas prouvé.
Takashi YOSHIDA, connu pour son manga Yareta kamo Iinkai, s’en prend ainsi aux éditeurs et a l’association des mangakas, rappelant que pour être efficaces, les moyens mis en oeuvre doivent être utiles aux lecteurs et s’adapter à ce qu’ils recherchent. Un peu comme le développement de l’offre légale qui était sensée être au coeur de l’Hadopi.

La disparition d’un site ne conduira pas a de nouvelles ventes. Notamment parce qu’il suffit d’une simple recherche Google pour trouver son remplaçant. La gestion des droits pour mettre en ligne en même temps que les prépublications reste une grosse demande des lecteurs. L’usage d’une plateforme de piratage ne signifie pas non plus que les memes lecteurs ne continuent pas à acheter du manga. Il y a d’ailleurs un retour du manga livre / tankobon de bonne qualité. Au détriment des prépublications.

Niveau offre légale, il y a pourtant du choix, que ce soit via les éditeurs eux mêmes, des plateformes généralistes (Kobo, Yahoo, DMM, LINE) ou des spécialistes (Renta, Booklive, Ebook japan initiative, honto…). Pas de forfait au mois mais soit de la location (100¥ pour 48h sur Renta par exemple) ou de la vente plus classique. Mais le tout dans un design très classique, très Japonais. Très Omotenashi (on sait mieux que vous ce que VOUS voulez).

Une part de moi pense que si le sujet est pris autant au serieux, c’est aussi parce que les Otakus sont vu comme les derniers gros consommateurs au Japon (au point d’avoir redéfini la jpop pour leur plaire) et que les actions pour leurs vider les poches fleurissent. Si les otakus se mettent aussi aux sites pirates, les éditeurs perdraient leur poule aux oeufs d’or.

Le mot de la fin

Voyons déjà si la campagne continue plus de 3 mois ou si elle s’essouffle déjà.
Si l’offre légale se met a prendre en compte les besoins des utilisateurs (comme l’a fait Mangamura ou Netflix) elle aura sans doute de beaux jours devant elle. J’espère juste qu’on ne va pas se retrouver avec un dispositif inutile type Hadopi.

Dans tous les cas, j’attends de voir quelle mascotte ils vont nous trouver pour completer le duo de Eiga Dorobo.