Achikochi

L’émergence du Japon moderne – Vendredi Lecture

2018-05-11 | Lecture : 4 min

Ce que j’essaie de faire avec les Vendredi Lecture mais plus généralement avec les livres que j’achète, c’est de comprendre le Japon du point de vue des Japonais.

Et récemment, j’ai découvert la série d’émissions sur le Japon de France Culture qui comptait parmi ses intervenants Pierre-François Souyri. Et c’est un nom qui revient très régulièrement dans les discussions sur l’histoire du Japon, que ce soit au travers de ses livres et notamment sa Nouvelle Histoire du Japon ou de ses intervention a la radio, a l’INALCO/Langues’O ou à l’université de Genève où il officie maintenant.

A force d’entendre ce nom, je me suis décidé a faire un écart et à acheter deux de ses livres : “Moderne sans être occidental” (objet de cet article) et “Les guerriers dans la rizière” (dont l’article sortira la semaine prochaine).

Et force est de dire que “Moderne sans être occidental” est une excellente lecture qui mélange personnages et dossiers thématiques. Que ce soient les Lumières, ces premiers Japonais a s’ouvrir a l’international et a servir de pont entre le Japon et l’étranger, entre la société d’alors et la Nation, entre une société de classe a l’émergence du concept de liberté etc.. ou la dissolution des samouraïs dans la société, l’apparition de la conscience écologique ou la définition de la place des femmes dans la société.

Des problèmes qui couvent

Le titre du livre fait référence au fait que le système au Japon montrait déjà des signes de fatigue avant que Perry n’arrive. Samouraïs en perte de statut par rapport a la nouvelle bourgeoisie, émergence d’une société préindustrielle que le système de caste en place entravait…

Même après l’électrochoc de Perry et bien que de (très) nombreuses idées étrangères arrivèrent au Japon, l’approche dans la mise en oeuvre ainsi que les problèmes qui arrivent sont Japonais.

PF Souyri se garde bien cependant de l’excès inverse : dire que c’est une histoire 100% japonaise. Il commence justement par remettre les événements dans un contexte international et une évolution de la société qu’on retrouve un peu partout dans le monde a la même époque (et avant que Perry ne vienne mettre son grain de sel).

Japon : entre tradition et modernité

Plus exactement “conflit entre tradition et modernité”. Les nouvelles techniques sont vues comme un moyen de créer une nation (par opposition a un ensemble de domaines), de devenir japonais. Mais c’est aussi mettre de coté certains aspects culturels.

Premiere mission Japonaise en Europe (1862). A leur retour au Japon, nombreux sont ceux qui occuperont des postes prestigieux

L’importance du Confucianisme et Neo-confucianisme

Ce que je trouve très intéressant c’est ce rappel de l’importance du confucianisme et du néo-confucianisme. Les lettrés de l’époque l’étaient après l’étude des textes confucianisme et 1000 ans de références confucianistes infusaient la société japonaise. Ce sont donc ces références qui ont été utilisées pour transmettre les nouvelles connaissances, philosophiques et techniques.

La création de nouvelles traditions

Après l’arrivée de Meiji au pouvoir, le Shinto devient religion d’état. Sauf que les concepts du Shinto étaient loin d’être fixés. Et les changements sont nombreux, un des plus visible est la séparation des temples et sanctuaires par exemple

Le Kojiki, fameux texte de référence sur le Shinto n’est en fait redécouvert qu’a la fin du 18ème siècle après de nombreux siècles à croupir dans des archives. Et c’est l’interprétation de son re-découvreur Motoori Norinaga qui sert de base a la construction de tout dialogue sur le Shinto aujourd’hui.

Amaterasu
Amaterasu Et la création du Japon (Wikicommons)

C’est aussi a partir de ce moment que les lettrés commencent a s’intéresser à ce qui se passe en dehors des villes et qu’émerge l’idée que le “vrai” Japon n’est pas celui des villes, mais celui des campagnes. Et c’est notamment par opposition au néo-confucianisme.

Le concept clef qui apparait a ce moment c’est le kokutai, cette “âme” de la nation japonaise que seule un Japonais peut comprendre, à tel point que le gouvernement passera 50 ans essayer de la définir et la faire rentrer de force dans la tête de ses citoyens (ça me rappelle fortement omotenashi). A coup d’emprisonnements, de peine capitale, d’attentats a la bombe et de manuels scolaires.

Avec cette redéfinition de la tradition religieuse, d’autres secteurs en profitent pour se donner une image traditionnelle comme le sumo. Mais bon, la création de nouvelles traditions ne s’est pas arrêté à fin de la seconde guerre mondiale.

Le mot de la fin

Une lecture très intéressante, très bien écrite, équilibrée et avec une variété de sujets rafraichissante.

On est loin des classiques “le dernier baroud d’honneur des samouraïs” ou “la dérive vers le nationalisme”.