25 ans de Métavers au Japon
Tout s’accélère autour du métavers depuis quelques mois et surtout depuis les annonces en grande pompe de Facebook. Et au Japon ?
Le Métavers, c’est quoi ?
Le Métavers, c’est le dernier méga-projet de Facebook (maintenant officiellement Meta) pour conserver sa position dominante. Plutot que d’interagir avec les gens en face a face, en entreprise, dans les commerces etc, chaussez votre casque de réalité virtuelle (de préférence un Oculus, histoire de rester corporate), et interagissez en VR de cette facon avec l’avatar de votre choix. Sauf que la personne en face peut etre n’importe où. Ou etre un bot. En un mot : une facon de mettre un semblant de relations interpersonnelles dans un internet qui se déshumanise a vitesse grand V.
Et oui, VR Chat, Second Life ou les chats en client Java que j’utilisais péniblement sur la connection 56K de mes parents au tout début des années 2000 vendent le même rêve depuis plus de 20 ans maintenant.
A l’origine du concept, du mot Métavers et même du concept même d’avatar tel qu’on l’utilise partout aujourd’hui, on trouve le livre Le Samourai Virtuel (ou Snow Crash en version originale) de Neal Stephenson. Je vous ferai grâce du fanboyisme absolu qui m’habite, Snow Crash fait partie des livres qui m’ont le plus marqué (a égalité avec le Cycle de Fondation d’Asimov mais bien moins qu’un autre livre de Stephenson : L’Age de Diamant).
Snow Crash est une pure émanation du courant cyberpunk. Grosses entreprises contrôlant la société, fragmentation du tissu social, énormes inégalités sociales, mercenaires et un codeur de génie au milieu de tout ca. Bon, il est ハーフ et s’amuse avec un katana a quelques moments du livre (mais la Raison prévaut a la fin) d’ou le titre francophone. Oh, et rajoutez une part de critique de la religion et du personnage a sa tête qui est très Trumpien, une bonne dose de mythologie sumérienne, des memes avant les memes, une drogue qui agit aussi bien dans le monde réel que dans le monde virtuel, une dose de neurolinguistique… Oh, et Mr. Ng. J’adore Mr. Ng.
Et donc le Métavers.
Qui est donc, pour utiliser des concepts qui existent aujourd’hui mais étaient révolutionnaires a la sortie du livre en 1992, un MMO autant pour les loisirs que pour le business. Vous pouvez participer en achetant des avatars standardisés mais aussi, en fonction de vos compétences, développer le votre, acheter et developper un terrain virtuel et y tenir activités et business, etc.
OK, pour faire encore plus simple : si vous avez vu Ready Player One, vous avez une idée de ce que ça peut donner. RPO est un plagiat de Snow Crash sorti 20 ans après l’original mais l’adapation de Spielberg a très largement satisfait mon âme de fan qui désespérait que tous les projets d’adaptation de Snow Crash prennent l’eau. Mais ça reste un plagiat. Et sans Enki. Bref, je m’égare.
Bref, le Métavers original est donc issu d’une dystopie ou une plateforme, initialement décentralisée et accessible a tous est en train d’être coopté par un magnat des médias pour son usage personnel et la diffusion des ses idées et de sa religion.
Est-ce que j’ai été surpris quand M. Zuckerberg a choisi ce terme pour présenter son projet ? Non.
Et le Japon dans tout ça ?
Comment ça, le fait que le bouquin soit cyberpunk, que le personnage soit ハーフ et utilise un katana ne suffit pas a justifier un article ? Ma passion pour les dystopies technologiques ne vous branche pas plus que ça ?
Bon, en fait, au dela de ma passion pour Snow Crash, ce qui fait que je sors le blog de son sommeil c’est que je voulais creuser ce qu’il en était ici.
Snow Crash a eu une diffusion bien plus confidentielle au Japon, traduit et diffusé en 1998 et pour autant que je puisse en juger, épuisé depuis longtemps. Mais ça n’empêche pas que les concepts qu’il contient ont infiltré l’imaginaire japonais.
25 ans de Métavers dans l’imaginaire japonais
Dur de parler du Métavers au Japon sans commencer par Serial Experiments Lain qui est un peu le précurseur dans le domaine, le premier animé a aborder le sujet d’un Métavers (nommé Wired) en 1998. On retrouve énormément des thèmes de Snow Crash : fusion entre réel et virtuel, drogue, religion, détournement de la technologie au profit d’une minorité… Mais aussi un élément qui reviendra plus tard, la communication comme élément important du multivers, ici mise en contraste avec un monde réel ou la communication est complètement inexistante.
Niveau film, Paprika (Satoshi Kon, 2006) mérite d’être mentionné mais dépasse un peu la définition d’un Métavers, même en étant souple sur ladite définition. Il reprend et étend les concepts de Serial Experiments Lain et on retrouve bien un bon réel et un monde virtuel utilisé dans un cadre professionnel, initialement en psychiatrie ainsi qu’une fusion des deux mondes au cours de l’intrigue, le tout via le DC mini, appareil qui permet de se connecter a l’environnement. Mais il est difficile de parler de Métavers. Seule une poignée de personnes a accès aux DC mini, et uniquement dans le cadre d’une thérapie. Etonnament, le concept du bar virtuel radioclub.jp où les protagonistes se retrouvent a plusieurs moments serait ce qui se rapprocherait le plus d’une application grand public de l’univers décrit. Mais il est accessible d’un simple navigateur internet…
(Edit juin 2022 : apparemment, Neal Stephenson himself, après avoir des années travaillé sur des projets de VR/AR, ne voit plus ca comme étant une nécessité pour un Métavers. Donc un simple site ferait l’affaire ?)
Dans la majorité des exemples que j’ai pu recenser, on sent bien que les MMORPG ont profondément marqué l’imaginaire japonais. Que ce soit Avalon (Mamoru Hoshi, 2001), ou les series de light novels Sword Art Online (a partir de 2009) ou Log Horizon (a partir de 2010), les protagonistes sont perdus, plus ou moins volontairement, dans un MMORPG et souhaitent en sortir. Ou passer en classe réelle. Dans tous ces exemples, le jeu est la finalité de l’univers créé, sans forcément vouloir pousser le concept plus avant (Avalon et sa classe réelle allant cependant un peu plus loin). Le développement des MMORPG dans les années 90 mais surtout Phantasy Star Online, premier jeu japonais du genre et premier sur console (RIP la Dreamcast) on clairement alimenté l’imaginaire. Autant j’ai grandi avec les romans Autremonde (1996-2001) de Tad Williams, autant je suis surpris que 15-20 ans plus tard, ce type de concepts fasse toujours recette.
Enfin, je pourrais mentionner Persona 5 qui utilise directement le nom Métavers dans ses versions anglaise et française. Cependant ce n’est pas le cas dans la version originale japonaise. Par ailleurs, le concept même du Métavers de Persona 5 n’a rien en commun avec celui dont on parle ici.
Il y a également 2 films que je n’ai pas encore mentionnés parce qu’a mon sens, ils capturent ce que pourrait être un Metaverse complètement implémenté et méritent d’entrer bien plus dans le détail.
ようこそ、オズ/Uの世界へ。
Parce qu’il y a deux films qui a mon sens représentent ce qui serait le Métavers et ce sont Summer Wars (2009) et dans une moindre mesure, Belle (2021), tout deux réalisés par Mamoru Hosoda. Dans les deux cas, l’action se passe autant dans le métavers que dans le monde réel et la description qui en est faite va au delà du simple gimmick scénaristique pour avoir des personnages qui volent dans tous les sens.
Summer Wars passe bien plus de temps a présenter Oz, sa version du Métavers que ne le fait Belle. Bien que fortement inspiré par ce qui se passait a l’époque sur Second Life et qui générait énormément de buzz et de clones au Japon comme ailleurs (on y reviendra), il était encore nécessaire de présenter ce qu’était ce monde. C’est aussi sans doute pour ça qu’a la même époque, d’autres créatifs préféraient centrer leur monde autour d’un jeux video. Le concept est bien plus simple a appréhender et diffusé plus largement dans la conscience collective.
Car pour Hosoda, le jeu n’est pas le coeur de la plateforme. Services publics, bancaires, shopping, sports, casinos, travail de bureau, tout y est connecté. Une infrastructure essentielle de la vie telle qu’imaginée dans le monde. Ce qui est intéressant déjà a l’époque, c’est que les problèmes de sécurité sont déjà au coeur du problème. Avec une petite dose d’IA, c’est même le coeur de l’intrigue.
L’aspect VR est bien moins présent que dans la vision de Facebook. Sans doute un signe des temps mais la variété des moyens de connection a Oz reflète a mon sens la fragmentation des appareils utilisés pour se connecter au net et la moins grande mainmise de certaines plateformes. On est loin du concept « connectez vous avec votre Oculus (by Facebook)* au Métavers (by Facebook) *compte Facebook obligatoire pour utiliser l’appareil. »
Belle fait revenir le métataverse après un petit ripolinage des familles. Le nom a changé, fini Oz, c’est maintenant U et tous les jeux de mots avec You! qui vont bien. L’exposition est bien plus integrée a la narration, le personnage principal découvrant la plateforme en même temps que le spectateur mais restant relativement en surface. C’est normal dans le sens ou, contrairement a Summer Wars ou un des deux personnages principaux était un des administrateur du système, ici, on est a la place d’un utilisateur lambda. Douze ans plus tard, le public aussi a eu le temps de se familiariser avec ce qu’est la VR et les mondes virtuels en général. Belle a l’air de revenir sur le principe d’interconnectivité, mettant en avant une application smartphone et du matériel dédié mais a l’air d’être encore une plateforme relativement ouverte. On voit cependant apparaitre un mur de sponsors publicitaires lors de l’utilisation du pouvoir de reveal, deux concepts complètement absents de Summer Wars. J’aimerai le voir comme un clin d’oeil sarcastique a ce qu’est devenu le web pendant les 12 ans entre les deux films. Sarcastique dans le sens où ce mur de sponsors est rattaché au principal antagoniste du monde virtuel.
Un élément extrêmement mis en avant dans la présentation de Oz dans Summer Wars, est la place importante de la communication, une notion que l’on retrouve dans Serial Eperiments Lain également comme mentionné plus haut. Avec également une fonctionnalité révolutionnaire encore en 2009 : la traduction simultanée !
Imaginez ma surprise quand j’ai vu le concept être repris dans la présentation du métavers de Microsoft, Mesh, lors de la conférence Ignite le 3 novembre 2021.
De la fiction à la réalité
Si Facebook et Microsoft font les gros titres ces dernières semaines, ils sont loin d’être les premiers a vouloir mettre en oeuvre le métavers. A commencer par Neal Stephenson qui occupe depuis fin 2014 le poste de Chief Futurist chez Magic Leap, startup américaine travaillant sur une technologie de réalité augmentée qui a connu de nombreux déboires. Mais l’histoire est bien plus ancienne
Si on se concentre sur le Japon, on peut constater trois ères jusqu’a présent.
En 1997, juste un peu avant la sortie de Serial Experiments Lain, NTT Data sort le tout premier métavers japonais : machiko. Plus un prototype qu’autre chose, les invitations seront envoyées a environ 10 000 personnes mais seules 2500 se connecteront réellement d’après les informations que j’ai pu trouver. Le service a rapidement été arrêté, plus un proof of concept qu’une application grand public au final. Entre representation 3D, chat et économie virtuelle, on retrouve déjà les principaux composants typiques du genre plus tard.
Digression franco-française : la même année, Canal+ (et Cryo Interactive) sortaient Le Deuxième Monde, le premier métavers français qui a attiré jusqu’a 200 000 utilisateurs, a duré jusqu’en 2001 et qui aurait pu durer plus longtemps si la motion lancée par ses résidents (les Bimondiens) regroupés en association avait pu être menée a terme.
La deuxième génération se lance peu après le décollage en popularité de Second Life, entre 2006 et 2008. Il y a alors une explosion de plateformes, la majorité ayant une très faible durée de vie même si certaines ont survécu jusqu’a 2018 ou 2019.
C’est a cette époque qu’apparait le Playstation Home qui fut sans doute l’introduction du plus grand monde au Métavers de par sa diffusion internationale avec la PlayStation 3. On pourrait pinailler sur le fait que ce soit une application japonaise vu que la plateforme a été développée par SCE London Studio et SCE Studio Cambridge mais disons que ça reste quand même dans le giron d’une entreprise japonaise.
En parcourant les communiqués de presse annonçant la fermeture des différents services, le choix des technologies et les attentes des utilisateurs sont les principales interrogations mentionnées par leurs créateurs.
Depuis 2017, on constate un regain d’intérêt dans la VR ce qui semble correspondre a la sortie du casque VR de Sony ainsi que de l’Oculus Rift. cluster a l’air d’avoir attiré une certaine partie de la sub-culture idol avec l’organisation de concerts sur la plateforme.
Au delà du métavers
Si on regarde au dela de la simple plateforme, d’autres entreprises et innovations japonaises ressortent.
A mon sens, la plus grande contribution des entreprises japonaise aux métaverses sera la technologie des VTubers. Le passage de la motion capture initialement limitée aux grosses production cinématographiques ou de jeux-vidéos s’est maintenant largement démocratisée. Même au dela de tout le matériel nécessaire encore en 2017 comme sur cette photo que j’ai prise en 2017, aujourd’hui, des plugins permettent d’obtenir des résultats très corrects ce qui a permis la multiplication des VTubers hors YouTube, y compris en streaming. Ce qui était au départ un truc purement nippo-japonais s’est maintenant bien répandu.
Je serais curieux de voir ce que des entreprises japonaises pourraient proposer en termes de design de mondes virtuels. Les itérations précédentes des métavers ne se démarquaient pas par la créativité de leur monde de base.
JTB a récemment lancé son Virtual Japan qui est leur solution pour essayer de vendre du tourisme aux non japonais alors que les frontières sont fermées. Soyons clair. J’ai vu mieux sur Windows 95. Dans le même genre, le ministère des transports et de l’infrastructure anime un projet de modélisation des différentes villes du Japon (projet Plateau), notamment dans le cadre de la promotion des smart cities. Le but n’est que tangent au sujet de cet article mais montre que la creation d’assets virtuels est prise au sérieux.
La théorie et la pratique
Comme la blockchain, il y a la théorie et la pratique. Et comme pour la blockchain, les implémentations actuelles du Métavers sont loin de correspondre a la vision imaginée par Neal Stephenson (ce qui n’est pas forcément un mal), de Mark Zuckerberg (et tant mieux) ou des intentions décrites dans les communiqués de presse de lancement des services.
Microsoft vient également d’annoncer sa propre version du métavers appelée Mesh et intégrée dans Teams, très serious business. J’attends maintenant de voir les prochaines annonces d’entreprises japonaises se positionnant dans le secteur ainsi que de voir comment celles qui sont déjà dans le secteur vont réagir.