Trains Japonais : le mythe de la gare avec une seule passagère

Il y a des moments où lactualité française sintéresse au Japon. Et sil y a un sujet où le Japon sert souvent de point de comparaison avec la France, cest bien son système ferroviaire et ses trains.

Et entre les problèmes de la SNCF en décembre et le début des négociations sur la réforme de la Grande Maison, cest sans surprise que les articles de comparaison avec le Japon se remettent à fleurir.

Et ces derniers jours, cest lhistoire de la Gare de Shirataki, Hokkaido,maintenue en service pour une seule passagère qui tourne beaucoup sur Twitter.

Plongeons-nous là dedans mais dabord :

Tes qui toi ? De quel droit tu parles ?

Soyons clair : juste un péquin de base qui sait utiliser Google. Et qui accessoirement a travaillé sous contrat privé dans une filiale de la SNCF (qui fournissait des locomotives a des transporteurs privés en France, parce que OUI, ça existe, légalement depuis 2006 et bien généralisé depuis 2010, y compris pour les passagers, depuis 2011 avec Thello, client de mon ancienne boite). Jai aussi travaillé pour ALSTOM Transport, sur des projets de locomotives de fret.

Est-ce que ça me donne envie de protéger mon ancien employeur ? Bof. Je nai jamais autant râlé sur lui que quand jen étais employé.

Bonjour M
Bonjour M (private joke)

Beaucoup de choses à dire, mais ce blog porte sur le Japon.

Quand au De quel droit je parle ?”, cest *mon* blog. Cest aussi simple.

Père Raleur, raconte nous une histoire

Laissez-moi chausser mes lunettes roses Made in CoolJapan.

*Se racle la gorge et fait craquer ses doigts*

Lhistoire raconte que dans un pays lointain appelé Japon, la compagnie ferroviaire JR Hokkaido maintient la gare de Shirataki en activité pour le bénéfice de sa seule passagère, une lycéenne du nom de Kana Harada et ce, jusqua ce que celle-ci soit diplômée.

France Info avait par exemple relayé lhistoire en janvier 2016.

Prenons un peu de recul

A lheure ou la SNCF parle de diminuer le nombres de trains de proximité et de supprimer (encore) des lignes rurales, on peut comprendre comment cette histoire touche une corde sensible. Sauf que.

Sauf que dans cette histoire, beaucoup de choses sont à prendre avec des pincettes.

Une histoire de 2016

Tout dabord, lhistoire à deux ans. Le sujet est apparu en janvier 2016 après quun blog chinois ait découvert lhistoire, blog ensuite relayé dans les médias japonais puis dans les médias anglophones. A plus grande échelle, cest une histoire qui sétend sur 2015-2016 mais je mavance encore un peu.

Le fait que cette histoire ait deux ans ne change rien sur la beauté supposée du geste de la JR. Par contre, sarrêter a cette simple information masque le fait que la gare en question a été fermée 2 mois plus tard, une fois létudiante diplômée.

Une « gare »

Même la fermeture de la gare est a prendre avec des pincettes : en fait de gare, cétait un simple abri de bois, sans personnel. De plus, lentretien était effectué par les habitants du coin. Pour faire un rapprochement avec la France, ça ressemble plus à un abri-bus qua une gare ou même une simple maison de garde-barrière telle quon peut se les représenter en France.

Un calendrier… avantageux

Revenons sur le calendrier également et ce maintien jusqua ce que la lycéenne finisse ses études. Dans els faits, comme en France, les horaires de trains sont modifiés une fois par an. Et au Japon, ça tombe aux alentours de la fin de lannée fiscale soit autour du 30 mars. Tous les ans. Et ça tombe bien, cest aussi le changement du calendrier scolaire (fin dannée et début dannée. La Rentrée, à la fois des entreprises et des élèves). Par exemple, la ligne que jutilise principalement sur Tokyo, annonce depuis 6 mois, affiches à lappui son changement dhoraires.

Changement des horaires de trains sur la ligne Keio a Tokyo

La fermeture avait été annoncée un an à lavance pour des raisons économiques (cf plus bas) et de manque de fréquentation.

Des trains pour une seule passagère ?

Enfin, revenons sur cette seule passagère. Voyant la publicité que cela faisait à la ligne, JR Hokkaido en a profité pour tourner lhistoire et y mettre une bonne dose de Kando (le Happy Ending à la japonaise : à la fin du film, il faut que vous ayez pleuré dun mélange de joie et de tristesse), tournant ainsi une décision économique en belle histoire.

Par ailleurs, le buzz qua généré cette histoire a attiré des hordes de fans de trains qui sont venus faire LA photo delle, seule sur le quai, attendant son train. Et lui demandant de poser, des interviews… Lui posant des problèmes à un moment ou elle passait des examens. Imaginez la même chose avec un.e élève passant le bac…

Accessoirement, elle nétait pas la seule passagère (les rapports en mentionnent une dizaine) et ce nétait pas la seule gare fermée, les trois gares alentours lont aussi été.

La fin de lhistoire

En octobre 2016, les bulldozers sont passés et ont rasé le petit abri qui servait de gare. FIN.

Un reportage (en japonais) retraçait toute lhistoire, avec des photos darchive montrant la gare à son heure de gloire.

De la petite histoire à lHistoire

Alors, il va falloir que je fasse un article spécifiquement sur le sujet parce que celui-ci est déjà trop long mais arrêtons-nous sur JR Hokkaido qui est le sujet de lHistoire du Jour

Il fut un temps où la JR sappelait la JNR. La SNCJ pour faire simple. Et JNR gérait les trains sur le territoire japonais, à côté dopérateurs privés (Kintetsu, Keio, Odakyu pour en citer quelques un).

En 1987, après une série de pertes financières, de problèmes de management et une affaire de fraude, la compagnie est divisée en sept (6 régions et une pour le fret) et une partie de ses lignes les moins rentables sont vendues à des compagnies privées tierces (ce quon appelle des Opérateurs Ferroviaires de Proximité en France).

En parallèle est mise en place la Société de Régularisation de la JNR, chargée de gérer le transfert de personnel entre les différentes structures, mais surtout de gérer les dettes énormes de chaque nouvel opérateur.

Parce que oui, cest aussi un gros sujet au Japon. Et notamment pour JR Hokkaido qui avec une superficie comme la Nouvelle Aquitaine (je ne my ferais pas) ou la Guyane mais seulement 5 millions dhabitants doit assurer du service dans des régions très peu peuplées, à lexception de la toute pointe sud de lîle.

Et même aujourd’hui, les comptes ne sont pas brillants : deficit de 23.5 milliards de yens (beaucoup trop de zeros, meme en euros) sur l’exercice finissant en avril 2017 (Accessoirement, lisez l’article, il est en anglais mais fait bien le bilan sur la privatisation de JNR après 30 ans).

On est donc tout proche de la mission de service public et des Trains de Proximité français.

Regardons donc comment cette société privée, qui maintient une gare pour une seule passagère (si si, puisquon vous le dit, une seule) a géré son réseau les 15 dernières années :

Réseau en 2004
Réseau en 2004
Réseau en 2007
Réseau en 2007
Réseau en 2014
Réseau en 2014
Réseau en 2017
Réseau en 2017 (admirez comment le tourisme fait son apparition sur les cartes)

(Merci a ce blog pour les cartes issues des livres de référence : http://biei4seasons.blogspot.jp/2014/03/blog-post.html?m=1)

Pas besoin de lire le japonais pour comprendre que cest moins touffu, que le nombre de points diminue dramatiquement. Environ la moitié des lignes sont non rentables. Et ça n’a pas loupé : en novembre 2016 (soit après que notre belle histoire soit déjà morte et bien enterrée), le président de JR Hokkaido a annoncé la fin des opérations sur 1237 kilomètres de ligne. Soit 50 % de son réseau. Une petite partie sera proposée a des opérateurs tiers SI et seulement SI les collectivités locales concernées sont d’accord. Dans le cas contraire, elles seront tout simplement fermées.

Bref, une société privée qui prend des décisions sur une base financière exclusivement.

Et vous le dites que cest ça, l’entreprise exemplaire que vous comparez à la SNCF ? Et le modèle de privatisation que vous voulez ?

Mais le plus drôle dans tout ça, c’est que JR Hokkaido n’a qu’un seul actionnaire, qui détient 100% des parts de l’entreprise : l’Agence de Construction, Transport et Technologie Ferroviaire. L’agence gouvernementale qui a pris la suite de la Société de Régularisation de la JNR.

Autrement dit, des fonds 100% publics dans une entreprise de droit privé.

Comme quoi, quand on prend des exemples, mieux vaut bien les vérifier.

Mise jour du 22 septembre 2020:

Je ne pensais pas vraiment mettre a jour cet article mais The Economist vient de sortir un article sur les lignes locales qui disparaissent au Japon et qui met fortement en avant les differences entre trains locaux et Shinkansen mais aussi entre Tokyo et le reste du pays.

Pour faire court:

  • Tokyo est en croissance, le reste du pays dépérit. Ce n’est pas limité au ferroviaire mais c’est le sujet de cet article
  • Le gouvernement japonais subventionne bien les compagnies ferroviaires mais…
  • … pas suffisamment pour que celles-ci perdurent. Donc les lignes ferment

Le dernier paragraphe est assassin:

“If we continue down this path, every form of public transport in rural regions will disappear in the future,” warns Mr Utsunomiya. The buses that replaced Gobira’s trains are empty: “carrying air”, as Mr Masuda puts it. He worries it is not so much public transport that is disappearing, but rather the communities it serves.

« Si nous continuons sur cette voie, toutes les formes de transport public des zones rurales sont amenées a disparaitre, », prévient M. Utsunomiya. Les bus qui ont pris le relais a Gobira sont vides, ils « transportent de l’air », pour reprendre l’expression de M. Masuda. Sa crainte n’est pas tant que les transports publics disparaissent, mais plutôt les communautés qu’ils desservent.

2 réflexions sur “Trains Japonais : le mythe de la gare avec une seule passagère

  1. Bachstelze dit :

    Pour pinailler, la gare en question c’est Kami-Shirataki (la gare de Shirataki, elle, est encore là), et on dirait que la photo de l’intérieur (avec la fiche horaire) n’est pas la bonne, il n’y avait qu’un train par jour dans chaque direction avant que la gare ferme (voir Wikipédia).

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