La tradition dont vous êtes le héros – Des femmes dans l’arène
La « tradition » fait l’actualité cette semaine au Japon.
Lors d’une compétition de sumo a Maizuru près de Kyoto, le maire, alors en train de faire un discours au milieu de l’arène, s’est écroulé. Deux femmes se sont précipitées pour lui donner les premiers secours. Voyant cela, l’arbitre, sous le coup de la panique, leur a répété de sortir de l’arène. En effet, les règles actuelles de l’Association du Sumo, invoquant ses liens avec le shinto, interdit l’accès au dohyõ aux femmes, considérées impures du fait de leurs règles. Que voulez-vous, « c’est la tradition ».
Quand l’Histoire met son grain de sable
Sauf dans cette histoire de sumo, la tradition prouve que la « tradition » se fourvoie. En creusant un peu, on trouve trace de lutteuses de sumo, que ce soit en photographie de la fin du 19ème siècle, d’estampe ou de documents encore plus anciens (merci a @honest_kuroki sur Twitter pour ses recherches).
On peut aussi parler du zatou-zumo ou un lutteur, les yeux masqués, affrontait une lutteuse, dans un combat mixte donc. Ces combats ont été arrêtés en 1872 (à un moment ou le Japon se réinventait une tradition, mais ça fera l’objet d’un autre article).
La tradition comme argument
Dans un autre sujet (celui sur les couples homosexuels), le Mainichi avait publié un éditorial extrêmement intéressant sur l’utilisation de la « tradition » dans un argument, souvent pour balayer toute opposition mais aussi souvent dans une méconnaissance totale de l’histoire. Concernant les couples homosexuels, il est ainsi très connus que les couples de samouraïs étaient fréquents jusqu’a l’ère Edo. Puis, la tradition a été changée par une loi, non pas dans une optique de « bonnes moeurs » mais parce que le bakufu voulait instituer une loyauté absolue entre un guerrier et son suzerain et craignait donc que l’amant passe avant celui-ci. Qu’en est-il du suzerain lui-même, a vous de voir. L’invocation de la tradition a toujours une raison politique, a minima pour faire taire les opposants, même s’il n’y a aucun rapport avec une quelconque réalité historique.
A suivre
L’histoire ne s’arrête pas là.
Une des femmes qui est intervenue pour sauver le maire a refusé les excuses de l’Association de Sumo. Pour elle, en tant qu’infirmière, elle fait son devoir, plutôt que de laisser quelqu’un mourir à cause d’une quelconque tradition.
L’Association du Sumo essaie désespérément de se sortir de cette mauvaise publicité. Elle a contacté l’arbitre en question mais a refusé de le sanctionner même légèrement ou de reconsidérer (ou mentionner) la règle, y compris dans ce genre de circonstances.
Mais les lutteurs eux-mêmes n’ont pas l’air de soutenir l’association. Hakuho, couronné Yokozuna (le plus haut grade du sumo) en 2007 et athlète de niveau légendaire dans le sport, a annoncé ne pas trouver le geste déplacé du fait des circonstances et que les femmes et filles sont régulièrement invitées sur l’arène lors d’événements publics et amateurs.
Le lendemain, la maire d’une autre ville devait faire un discours d’ouverture d’une compétition de sumo. Sur un petite estrade improvisée. En dehors de l’arène.
Et elle en a évidemment profité pour pointer l’absurdité de la chose.
La tradition dont vous êtes le héros
Dans tous les cas, on voit bien les Womenomics ne sont pas encore rentrées dans les moeurs mais les lignes bougent et ce genre d’événements remet le sujet sur le devant de la scène.
Les deux héros de l’histoire sont clairement deux héroïnes qui ont refusés de quitter l’arène et de porter assistance.